Web3 : parlons d'une culture plutôt que d'une technologie
Le Web3 est un concept qui cherche encore sa définition. Plutôt que de parler d'une technologie, il serait bon de le considérer comme une culture, avec en son centre un concept clé : la tokenisation.
Avec des dizaines de millions d’utilisateurs et une croissance du niveau d’adoption à deux chiffres, le Web3 se présente comme le nouvel Eldorado de la tech. Pourtant, alors que 2024 approche et que nous allons fêter les dix ans du concept, seuls 8% des 18-65 ans interrogés par Consensys x YouGov se disent très familiers avec le concept de Web3. Un chiffre qui nous invite à nous poser la question de ce qu’est réellement le Web3, alors que certains y associent les metaverses, les technologies de réalité virtuelle ou encore les IA génératives.
Aux origines du Web 3.0
Avant d’être baptisé pour la première fois en 2014 par Gavin Wood, cofondateur de la blockchain Ethereum qu’on ne présente plus, le concept de “Web3” tel qu’on le connaît de nos jours se confondait avec celui de Web sémantique. Certains experts voient en effet en cette extension du World Wide Web (“WWW”, pour les intimes) les prémices du Web décentralisé. Le Web sémantique avait en effet pour vocation de standardiser les données échangées afin que les machines puissent les comprendre facilement, et ainsi faciliter l’automatisation des tâches informatiques. Une logique que l’on décèle dans une composante essentielle du Web3 : les smart contracts, ces petits logiciels informatiques hébergés sur des blockchains et dont l’exécution se fait automatiquement si certaines conditions sont réunies.
Mais avant de parler de la troisième génération du Web, il convient de revenir sur ses prédécesseurs. Alors que le Web initial (ou Web 1.0) marquait le début de la diffusion massive d’informations, le Web 2.0 donnait à l’utilisateur les clés de l’interaction. Ainsi naissent, dans les années 2000, les réseaux sociaux, avec Facebook en tête de proue. Mais qui dit interaction dit échanges d’informations personnelles : le Web 2.0 sera aussi celui qui posera la question de la protection des données.
C’est l’un des cofondateur du World Wide Web lui-même, Tim Berners-Lee, qui sera le premier à parler de Web 3.0 dès 2006. En guise de réponse aux dysfonctionnements du Web 2.0, notamment en ce qui concerne la protection des données, il introduit le Web 3.0 pour désigner une surcouche de sécurité au Web 2.0, permettant aux utilisateurs de se connecter à un site ou une application en utilisant son identifiant personnel et unique. Une tentative de remettre le Web dans son droit chemin originel à l’heure où les GAFAM de l’époque (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), bientôt renommés GAMMA avec le changement de nom de Meta, centralisent l’essentiel d’Internet.
Une des premières tentatives de réponse à la centralisation du Web apparaît à la toute fin de l’année 2008, alors que le mystérieux Satoshi Nakamoto crée le Bitcoin. Avant d’être reconnu comme la star des crypto-monnaies, le Bitcoin concrétisait la décentralisation financière grâce au principe de consensus des parties prenantes d’un même réseau, essentiel pour valider et sécuriser les transactions.
Les années qui suivent verront l’apparition de nombreuses cryptos dérivées du Bitcoin : Litecoin, Namecoin, Dogecoin… Mais ce n’est qu’en 2015 qu’émerge une blockchain révolutionnaire : Ethereum. A la différence de ses grandes-sœurs, Ethereum permet d’héberger des dApps, les applications décentralisées qui fondent réellement le Web3 tel qu’on l’utilise aujourd’hui, soutenu par l’explosion des échanges de NFT.
Web3 et metaverse : une frontière trop floue
De par leur caractère fortement visuel, les NFT (ou jetons non-fongibles) ont rapidement su trouver leur place dans des univers virtuels parallèles, là où l’unicité des objets numériques prend tout son sens : les metaverses. Il est vrai que nombreux sont ceux qui incluent le metaverse dans une définition plus englobante du Web3. Un lien entre blockchain, NFT et metaverse renforcé par le monde du gaming, à l’instar de The Sandbox, où toute action est “tokenisée” et qui propose sa propre marketplace de NFT.
Pourtant, à la lumière de ce que l’on retient de l’histoire du Web3, le metaverse ne correspond ni à l’automatisation des smart contracts, ni à la décentralisation des données. Au contraire, les différents metaverses étant produits par des géants comme Meta, il n’a jamais été question de décentralisation. Il convient donc de rappeler un point essentiel : les metaverses ne sont techniquement pas issus du Web3.
D’autant plus que le concept de metaverse ne date pas du XXIème siècle, de même pour leur concrétisation. Dès 1992, l’américain Neal Stephenson imaginait déjà dans son roman de science-fiction un univers virtuel parallèle : un “metaverse”. Les amateurs de jeux vidéos se souviendront également de World of Warcraft dès 2004, où les utilisateurs se battaient en duel dans un monde virtuel. Les moins jeunes pourront même se réferer au Club Penguin dès 2005. Le metaverse n’a décidément pas attendu la naissance de la blockchain pour exister.
Mais alors, comment expliquer cette confusion des technologies ? Certains pointent même une convergence entre Web3 et intelligence artificielle générative. En réalité, il faut revenir à la différence initiale entre Web3 et Web 3.0. Comme l’exprimait John Bruce, proche collaborateur de Tim Berners-Lee, en parlant du Web 3.0 : “Nous parlons bien de l'authentique Web 3.0... pas d’un détournement marketing.” Autrement dit, le Web qui se veut résoudre les dysfonctionnements du Web 2.0, à ne pas confondre avec le Web3, dont l’apparition est due à l’inventeur d’une blockchain et qui correspond en réalité à la décentralisation.
La tokenisation, clé de compréhension de la culture Web3
Dix ans après la naissance du “Web3”, il semble difficile d’imposer un changement de vocabulaire à une industrie bientôt estimée à plusieurs milliards de dollars. Pour résoudre le problème et la confusion, il serait donc bon de considérer le Web3 non plus comme une technologie mais comme une culture, au centre de laquelle on retrouve un principe : la tokenisation.
Avec la blockchain comme facilitateur, la tokenisation consiste en l’association d’actifs réels avec des actifs virtuels uniques. Certains y reconnaissent déjà les NFT. D’autres, notamment dans l’industrie du luxe, parleront de Passeports ou Certificats Digitaux. En le considérant comme clé de sol de la culture Web3, le token permet de créer un lien beaucoup plus évident avec les metaverses, et qui sait, avec la technologie Web 3.0 dont l’ambition est de construire un Web sécurisé pour chaque utilisateur et ses données.
En parlant donc d’un Web tokenisé, on comprend plus aisément comment répondre aux enjeux de compréhension de ce que sont les blockchains et les NFT, tout en conservant un pont avec le Web 2.0 que l’on connaît et utilise quotidiennement. Une manière habile de faciliter la démocratisation et l’adoption du Web décentralisé.