Les start-up doivent passer de la raison d'être à la raison d'agir
Le temps de la naïveté est révolu et les entreprises ne peuvent plus faire l'économie d'une "transformation" plus radicale, plus engagée.
Le temps de la naïveté est révolu. Certes, l’arrivée des startups dans le paysage économique a amorcé un tournant important dans le monde du travail. Et fait émerger des besoins inédits chez les salariés, des envies de liberté, d’impact, d'épanouissement personnel, de sens. Sous la poussée des nouvelles générations, la plupart des entreprises ont entamé une mue : en se dotant d’une raison d’être, pour définir un cap d’engagement clair, lisible tant par l’interne que l’externe ; ou en choisissant une mission, sociétale ou environnementale.
Mais en l’espace de deux ans, le mouvement @balancetastartup, le Covid et la récente récession ont rendu ces premières mutations - raison d’être, impact et épanouissement personnel - insuffisantes, frustrantes même, face à un monde du travail dans un shaker permanent. D’une part parce que salariés et clients - véritables consom'acteurs - investiguent désormais les coulisses avant d’acheter ou de s’engager dans une collaboration. La raison d’être d’une entreprise, si belle soit-elle, ne tient plus au regard de l’expérience client et collaborateur. D’autre part, parce que la quête de sens s’accorde de plus en plus mal avec les coups d’accordéon économiques violents qui voient des startups en pleine croissance embaucher à tour de bras des salariés, pour les virer par charrettes entières quelques mois plus tard, au premier coup de grisou des marchés. Transformant les collaborateurs en salariés jetables.
Face à la conscience accrue d’un monde qui brûle, l’impact purement financier, l'épanouissement strictement individuel ou une raison d’être hélas cosmétique, ne suffisent plus à créer du désir et de la rétention. C’était une première étape nécessaire. Mais pour continuer à séduire et fidéliser des collaborateurs et clients toujours plus versatiles et militants, les entreprises ne peuvent plus faire l’économie d’une "transformation" plus radicale, plus engagée… Elles doivent désormais passer de la raison d’être à la raison d’agir, du fulfillment (épanouissement strictement individuel) au fairfillment (épanouissement au service d’une mission collective plus large et juste), grâce à une brique cette fois plus collective qu’individuelle. Car la quête de sens et le besoin d’être utile qui animent aujourd’hui les citoyens ne disparaîtront pas.
Au contraire, ils annoncent un changement de paradigme sociétal important. Le militantisme n’est plus réservé à un engagement intime, en dehors de la sphère professionnelle. Chacun veut désormais contribuer au monde, au quotidien, dans son job, tout en trouvant de l’épanouissement pour soi dans cette action. Mais aujourd’hui, sans pour autant y parvenir tout seul… En cela, les organisations, au cœur du tissu économique et social, point de bascule crucial entre l’ancienne économie et les défis du monde de demain, ont un rôle majeur à jouer. En donnant d’une part aux salariés des clés d’épanouissement concrètes recentrées sur le sens de l’action mais aussi la valeur humaine et collective au travail. Et en façonnant de facto un monde économique plus responsable, durable et équitable.
Pour y parvenir, les entreprises doivent redonner au collectif ses lettres de noblesse, en aidant ses salariés à passer du "je" au "nous", tout en permettant à chacun de s’épanouir durablement dans son job. On a perdu l'habitude de construire des parcours et des compétences sur le temps long de se construire soi-même. Il est temps que les entreprises proposent des parcours complets de formation, adoptent un strict respect de la loi, permettent aux individus à mieux interagir en équipes pour qu’ils puissent se sentir à juste titre utiles là où ça leur tient à cœur et retrouver du sens et du bien-être pour eux et pour le collectif. A l’avenir, les entreprises capables de recruter sans encombres seront celles qui sauront proposer du sens, de la formation, et du respect à leurs collaborateurs, à la fois dans leur quotidien et dans les compensations proposées.
En maximisant ainsi leur impact utile sur le monde, en faisant le choix assumé de ne travailler qu’avec des sociétés ou fournisseurs qui placent l’utilité et le respect humain et animal au top de leurs priorités, les entreprises façonneront les contours d’une économie - et donc d’une société - plus responsable, durable et équitable. Plus en phase avec les enjeux inédits qui se profilent.
Nous sommes à un tournant qu’il ne faut pas rater, si l’on veut pouvoir dépasser les codes de l’ancienne économie, mortifère, pour un modèle plus juste et durable. A chacun de mettre en place les premières briques éthiques et collectives qui lui ressemblent. Il est temps de sonner ensemble le glas de la surconsommation générale (comme de salariés jetables) afin qu’elle ne surconsumme pas notre monde.