Fin du réseau cuivre : comment les entreprises doivent se préparer ?

Fin du réseau cuivre : comment les entreprises doivent se préparer ? Le réseau cuivre, qui porte la technologie ADSL et les lignes téléphoniques analogiques, va progressivement s'éteindre d'ici 2030. Les entreprises doivent d'ores et déjà anticiper leur migration vers la fibre optique.

Le 31 janvier dernier, les communes de Vanves, de Guyancourt ou de Saint-Leu ont vu leur connexion ADSL définitivement coupée. Cette date marque le début d'un chantier titanesque qui verra le réseau cuivre d'Orange progressivement s'éteindre d'ici 2030. Le mouvement va aller en s'amplifiant en procédant par plaques géographiques. 162 communes d'un premier lot seront suivies par 892 communes d'un deuxième en janvier 2026 puis 2 145 communes d'un troisième un an plus tard. En tout, 42 millions de lignes seront décommissionnées d'ici la fin de la décennie. Le site de Bercy indique les dates des décommissionnements ville par ville.

En soi, la fin de cette infrastructure vieillissante est une bonne nouvelle. Déployée dans les années 70, elle devenait obsolète et difficile à maintenir. Transitant par la fameuse prise en T, les accès à internet en xDSL et les lignes analogiques du réseau téléphonique commuté (RTC) seront avantageusement remplacés par la fibre optique. A condition que celle-ci arrive à temps. Si le taux de couverture du territoire national atteint 90%, il reste 4,6 millions de locaux, domiciles ou entreprises, à rendre éligibles selon le dernier décompte de l'Arcep, l'autorité de régulation des télécoms.

Pour certains particuliers, passer de l'ADSL à la fibre optique peut relever du parcours du combattant et occasionner des frais importants quand le raccordement exige de creuser une tranchée dans son jardin ou casser une dalle dans son garage. Pour les entreprises, les problèmes sont démultipliés. Elles doivent basculer des accès ADSL/SDSL mais aussi un grand nombre de lignes téléphoniques analogiques et Numeris de type RNIS T0 et T2. Dans le cas des entreprises multisites, ces lignes peuvent être situées sur des lots différents, donnant lieu à autant de plans de fermeture que de sites. 

Un chantier de 6 mois à un an

Plus de 4 millions d'entreprises et 10 millions de lignes au total sont concernées, selon les estimations de l'opérateur BtoB Celeste remontant à avril 2023. A raison d'environ 1 500 euros par ligne et sachant que les PME ont en moyenne cinq lignes de cuivre, les ETI dix et plus, et les grands comptes un nombre bien plus conséquent, l'entreprise évalue la facture totale à 15 milliards d'euros, essentiellement en jours-hommes. Un autre baromètre, publié en décembre dernier par l'opérateur d'infrastructure Covage, pointe un manque de préparation des entreprises. 48% des sondés, sur un panel de plus de 800 dirigeants d'entreprises, affirment ne pas avoir connaissance de la fermeture imminente du réseau cuivre et 20% seulement jugent que les offres actuelles de connectivité répondent à leurs besoins.

Directeur marketing de la division Entreprises de Bouygues Telecom, Sylvain Plagne insiste sur l'importance d'anticiper la bascule vers la fibre. "Alors que la fermeture du lot 1 a servi de répétition générale et a fait l'objet d'une forte médiatisation, beaucoup de sociétés, de l'ordre d'une dizaine de pourcents, se sont néanmoins fait surprendre", constate-t-il. Certaines sociétés choisissent délibérément la stratégie de l'inaction. "Elles laissent inactives certaines lignes pour évaluer ultérieurement leur pertinence pour leurs activités", constate Sylvain Plagne.

Alors que le lot 2 comprend des villes plus importantes que le lot 1, comme Ajaccio, Melun ou un arrondissement de Lyon, les entreprises retardataires risquent de voir les opérateurs et les intégrateurs de proximité surbookés à l'approche de la date fatidique. Entre l'audit de l'existant et la mise en production, un tel projet exige, selon Sylvain Plagne, un délai moyen de 6 mois pour une société lambada et un an pour les entreprises multisites, comme un réseau de magasins, ou les collectivités locales qui possèdent différents bâtiments publics (piscine, médiathèque…). "En solution de secours, nous pouvons déployer en quelques heures un routeur 5G mais, dans les derniers jours, il ne sera pas possible d'en installer dans toutes les entreprises", estime l'expert.

Cartographie de l'existant et architecture cible

Tout commence par une cartographie de l'existant. "Au-delà des accès internet et des lignes téléphoniques, des équipements comme des ascenseurs, des terminaux de paiement, des machines à affranchir, des interphones ou des systèmes de surveillance et d'alarme pourraient se trouver sans réseau", signale Nicolas Aubé, CEO et fondateur de Celeste. La Fédération français des télécoms a listé, dans un livre blanc, les matériels concernés. "Parfois, il n'y a pas d'autre choix que de faire la tournée des sites et de dresser un inventaire physique pour voir quels appareils sont branchés sur les prises en T", remarque Sylvain Plagne.

Après avoir dressé cette cartographie, il convient de définir une architecture cible et établir le plan de migration. Tous les équipements n'ont pas vocation à migrer vers la fibre. L'ascenseur peut être relié en 4G. De même, un boîtier 4G peut prendre le relais d'une ligne analogique située, par exemple, dans un hangar. Il en va tout autrement du PABX (Private Automatic Branch eXchange). Pièce maîtresse d'une installation téléphonique, cet autocommutateur, encore appelé dans le langage courant "standard téléphonique", distribue les appels entrants et sortants.

Migration a minima ou passage en mode cloud

Trois solutions s'offrent à une entreprise. Elle peut conserver son PABX, de marque Alcatel Lucent Enterprise, Mitel ou Avaya, grâce à la technologie dite Trunk SIP. Cette passerelle proposée par des prestataires spécialisés comme Sewan, Dstny, Unyx ou Alphalink, assure la connexion entre le RTC et le système de voix sur IP. Cette migration a minima ne donne toutefois pas accès à des usages innovants comme le serveur vocal interactif (SVI), l'identification de l'appelant (ANI), la messagerie unifiée (appels, mails), le groupement d'appels, la convergence fixe-mobile, l'accès à distance pour le télétravail ou la remontée de fiche client dans un CRM.

"La bascule vers la fibre est l'occasion de repenser ses habitudes de communications", juge Sylvain Plagne. "Les économies obtenues en rationnalisant le nombre de lignes – la fibre peut servir des usages voix et data - peuvent être réinvesties dans des services innovants." Pour bénéficier des apports du monde IP, une entreprise peut remplacer son vieux PABX par un modèle nativement conçu pour la voix sur IP (IPBX). Dernière possibilité : dématérialiser son système téléphonique pour le faire héberger chez un prestataire (Centrex) ou bien le migrer dans le cloud en retenant une solution de communications unifiées en mode SaaS (UCaaS) de type Microsoft Teams ou 3CX.

"La téléphonie dans le cloud permet d'entamer une nouvelle réflexion sur la distribution des appels en dehors des horaires de travail", avance Sylvain Plagne. "Classiquement, une fois la messagerie saturée, les appels tombent dans le vide. Un serveur vocal interactif permet de router intelligemment ces appels." Un fois la téléphonie virtualisée, il est aussi possible de se débarrasser des postes à touches, n'importe quel terminal connecté - smartphone, ordinateur – faisant office de téléphone. "Ce softphone ne concerne pas toutes les organisations", met en garde Sylvain Plagne. "Certains collaborateurs souhaitent conserver leurs combinés à touches ou leurs téléphones sans fil DECT. Dans un magasin, les vendeurs ne sont pas tous dotés d'un PC, ils partagent quelques téléphones mutualisés."

Les technologies alternatives à la fibre

"Une entreprise peut également profiter du passage à la fibre pour renforcer sa protection réseaux avec un système de filtrage, de prévention d'intrusion, de détection des vulnérabilités ou d'authentification multifacteur", pointe Nicolas Aubé. Une fois que l'organisation a défini les nouveaux services auxquels elle souhaite souscrire, l'opérateur ou l'intégrateur peut établir un devis mais aussi calculer la capacité réseau nécessaire. La visioconférence est, par exemple, particulièrement consommatrice en bande passante.

En règle générale, les petites PME optent pour une offre de fibre mutualisée (FTTH) tandis que les ETI et les grands comptes recourent à la fibre dédiée ou garantie (FTTO). Pour les locaux non éligibles à la fibre, il existe des alternatives comme les routeurs 4G/5G - qui offrent des performances et des débits supérieurs à l'ADSL - l'internet satellitaire proposé par Starlink, Nordnet ou SkyDSL, ou la transmission radio par faisceaux hertziens. Notons, enfin, que l'Arcep a mis en ligne une foire aux questions (FAQ) afin de répondre aux interrogations récurrentes des entreprises dans le cadre de la fin programmée du réseau cuivre.