La durabilité reste un impératif pour les investisseurs !

Alors que les enjeux du réchauffement climatique ne cessent de s'intensifier, les législations environnementales et celles relatives à la responsabilité sociale des entreprises en Europe connaissent un inquiétant ralentissement, voire un net recul.

La proposition Omnibus risque d’affaiblir des piliers essentiels tels que la directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité des entreprises (CSDDD), la directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD) et le règlement européen sur la taxonomie. Par extension, cela pourrait même éroder les fondements du Green Deal européen. Au moment où un cadre réglementaire plus rigoureux est indispensable pour accélérer la décarbonation de l’économie, un relâchement des efforts s’est insidieusement diffusé parmi les entreprises, façonnant un climat de complaisance généralisée.

Pourtant, les investisseurs analysent plus que jamais l’impact de leurs décisions : leur intérêt pour les critères ESG n’a jamais été aussi marqué. Les investissements verts constituent une alternative stratégique pour ceux qui souhaitent contribuer positivement à la lutte contre le changement climatique tout en générant des rendements financiers. Parmi ces solutions, les obligations vertes (Green Bonds) se distinguent comme un moyen efficace de financer des projets à impact environnemental positif, tels que les énergies renouvelables, la gestion durable de l’eau ou les infrastructures vertes.

Les institutions financières, les banques de développement et les grandes entreprises ont joué un rôle majeur dans l’institutionnalisation de ce marché. Ainsi, depuis 2008, la Banque mondiale a émis plus de 18 milliards de dollars en obligations vertes. Des entreprises comme Apple ont également investi de manière significative dans ce domaine : en 2019, l’entreprise a levé 2,5 milliards de dollars pour soutenir ses initiatives environnementales.

Les fonds d’investissement axés sur les critères ESG, tels que BNP Paribas Aqua, spécialisé dans les entreprises innovantes dans la gestion de l’eau, cherchent à allier rendements financiers et préoccupations éthiques et environnementales. Ces fonds représentent aujourd’hui environ 35 % des actifs sous gestion et affichent des perspectives de croissance continue. Leur motivation principale est de diversifier les risques, d’améliorer leur réputation, de s’aligner sur les attentes sociétales, de soutenir des projets engagés dans la transition écologique, tout en générant des rendements financiers compétitifs.

Alors que les investissements verts et les obligations vertes financent des projets durables, l’évaluation des entreprises à travers des scores ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) est un outil clé pour mesurer leur engagement réel en matière de durabilité et de responsabilité sociétale. Ces évaluations extra-financières, fournies par des agences spécialisées comme Sustainalytics, MSCI ou Trucost, analysent la performance des entreprises dans ces domaines. Un score ESG élevé attire des capitaux en quête d’impact positif, renforçant ainsi les ressources disponibles pour les entreprises engagées.

Cela dit, les scores ESG ne sont pas parfaits. Un problème majeur réside dans le manque d’harmonisation entre les méthodologies des agences de notation. Par exemple, une entreprise peut obtenir une excellente note chez MSCI ESG, mais être jugée plus sévèrement par Sustainalytics. Cette disparité complique la tâche des investisseurs, qui doivent agréger et analyser des données parfois contradictoires avant de prendre leurs décisions. Le fait que les données soient souvent auto-déclarées et non standardisées peut également introduire des biais ou des lacunes dans l’évaluation.

Malgré ces défis, il est essentiel de reconnaître que le marché des notations ESG demeure en pleine maturation. Les agences de notation s’emploient à affiner leurs méthodologies, et une convergence vers des standards harmonisés apparaît comme une évolution inéluctable. À terme, les disparités actuelles devraient s’estomper au profit d’évaluations plus rigoureuses et homogènes, renforçant ainsi la pertinence de ces scores pour les investisseurs. Cependant, la proposition Omnibus menace de freiner ce mouvement vers l’uniformisation et l’amélioration des rapports de durabilité des entreprises. Ce qui devait incarner l’exigence d’une transparence accrue, notamment à travers la CSRD, se transforme en un affaiblissement des ambitions réglementaires, un relâchement progressif qui complexifie davantage la tâche des investisseurs et des agences de notation dans l’évaluation de la performance ESG des entreprises européennes.

Investir dans des projets verts est bien plus qu’une tendance. Les dépenses en infrastructures et technologies écologiques, appelées CAPEX verts (Capital Expenditures), reflètent l’engagement des entreprises à réduire leur empreinte carbone tout en se positionnant comme des leaders de l’innovation durable. General Motors, par exemple, investit massivement dans les véhicules électriques. Bien que récent, cet élan paraît irréversible, affirmant l’alliance entre performance financière et impact sociétal. Pourtant, la proposition Omnibus risque de fragiliser les cadres réglementaires essentiels à la transparence et au développement de la finance durable. Investir dans des projets verts aujourd’hui, c’est bâtir les fondations d’une prospérité durable pour demain.

Une tribune corédigée avec Yassemine Aboumad, consultante en transformation financière.