Plus de développeurs, moins de vitesse : pourquoi le mythe du recrutement express est un piège
Recruter plus n'accélère pas une startup mal structurée. Mieux vaut viser clarté, alignement produit et efficacité, surtout à l'ère de l'IA qui permet de faire plus avec moins.
L'actualité tech récente dessine une courbe à contre-sens des idées reçues. Tandis que les stratégies d'hypercroissance continuent de faire rêver une partie de l'écosystème startup, les entreprises qui performent sont, elles, souvent les plus sobres en effectifs. WhatsApp, qui a conquis des centaines de millions d'utilisateurs avant même son rachat par Facebook, n’a jamais eu besoin d’une armée de développeurs pour scaler. Son équipe restreinte s’est concentrée sur la clarté du produit et la maîtrise de l’exécution. Même logique en France chez Defacto, dans le secteur B2B bancaire, qui a fait de la compacité un levier de précision et de vitesse.
Et pourtant, au sein de nombreuses startups, une même réaction automatique continue de prévaloir : « On rame ? Recrutons des devs. » Ce réflexe pavlovien est devenu un dogme. Une fausse évidence. Et souvent, un ralentisseur.
Le recrutement comme stratégie ou comme réflexe pavlovien ?
L’idée que plus de monde permet d’aller plus vite est aussi intuitive que fausse. Sur le terrain, ce que l’on constate, c’est que recruter massivement dans une organisation déjà bancale a l’effet inverse. On surcharge une mécanique défaillante. On aggrave les tensions. Et surtout, on retarde les vraies questions.
Chaque nouveau développeur implique un onboarding, une redistribution des périmètres, une couche de communication supplémentaire. Ajoutez à cela une roadmap floue ou des arbitrages mal assumés, et la machine se grippe. Plus de monde, c’est plus de complexité. Pas plus de vitesse.
Comme le rappellent Matthew Skelton et Manuel Pais dans Team Topologies, ajouter des effectifs sans repenser l’organisation des flux et des responsabilités crée plus d’enchevêtrement que de vélocité. Ce n’est pas la taille d’une équipe qui détermine sa performance, mais sa clarté structurelle.
Clarté sur la vision produit. Clarté sur les priorités business. Clarté sur le rôle de chacun. Car sans cette base, on ne fait que multiplier les effets de bord. La dette technique s’accroît. Les erreurs se propagent. Les frustrations montent.
Une roadmap bancale reste un piège, même avec cent devs
Le véritable enjeu, ce n’est pas l’effectif. C’est la direction. Dans une startup où tout est prioritaire, rien ne l’est vraiment. Et si la roadmap n’est pas connectée au réel, on peut déployer les plus belles features du monde… sans qu’elles trouvent leur public.
La vélocité n’est pas un sprint. C’est un enchaînement de décisions cohérentes, livrées au bon moment, avec les bonnes personnes. Et cela ne s’achète pas sur Welcome to the Jungle.
Recruter trop vite, c’est créer des rôles fantômes
Derriere l'accumulation se cachent souvent des zones grises : des middle managers sans vrai périmètre. Des profils seniors sous-exploités. Des juniors livrés à eux-mêmes. Et parfois, une organisation qui grossit, mais qui perd en efficacité.
On observe même des développeurs qui codent dans leur coin sans comprendre où va le produit. Des features livrées sans cohérence. Une stratégie tech qui se dilue au fur et à mesure que l’organigramme se complexifie.
Avant de poster une nouvelle offre, il faut se poser trois questions simples : Mon organisation est-elle prête à scaler ? Ma roadmap est-elle alignée avec le business ? Mes équipes savent-elles vraiment travailler ensemble ?
Si la réponse est non à l’une d’elles, alors recruter ne fera qu’accélérer le dérèglement. Mieux vaut structurer ce que l’on a déjà, avant de vouloir agrandir.
La vitesse ne vient pas du nombre. Elle vient de l’alignement. Et cela commence souvent par moins de bruit, pas plus de monde.
Plus d’IA, moins de monde : revenir à l’essentiel
Recruter en masse, c’était une stratégie de l’époque où l’on pouvait se permettre de cramer joyeusement des budgets. Aujourd’hui, les temps ont changé. Et dans un contexte où chaque ressource compte, l’enjeu n’est plus d’avoir plus de développeurs, mais de tirer le meilleur de ceux qu’on a déjà.
Les avancées de l’intelligence artificielle, copilots, assistants de code, Cursor, etc. permettent déjà à des équipes réduites d’atteindre des niveaux de productivité qu’on pensait réservés à des effectifs multipliés. Et demain, ce sera encore plus flagrant.
Cela oblige à une bascule de perspective. Avant de se demander “pourquoi ne pas cramer tout notre budget pour réunir une armée de devs? il faut revenir à la question fondamentale : pourquoi développe-t-on ce produit ? Quelle est sa valeur ? Qu’est-ce qui mérite vraiment notre bande passante ?
L’IA ne remplace pas le raisonnement produit. Elle le rend incontournable. Elle recentre la valeur ajoutée sur les arbitrages, le design applicatif, les choix d’architecture. Bref : elle incite à faire plus, avec moins.
Recruter pour aller plus vite n’a jamais été une stratégie. Aujourd’hui encore moins qu’hier.