Midjourney, Stable Diffusion, Generative fill… Comment protéger les créations visuelles générées par IA ?

Midjourney, Stable Diffusion, Generative fill… Comment protéger les créations visuelles générées par IA ? Protéger les œuvres générées par intelligence artificielle s'avère complexe. L'expression du geste créatif de l'humain dans l'œuvre reste primordiale.

DALL·E 2, Canva, Adobe generative fill, Midjourney… En 2023, les générateurs de visuels par intelligence artificielle ont connu d'importantes améliorations techniques. Les œuvres générées sont si qualitatives que de nombreuses agences artistiques commencent à utiliser ces outils. Peu étonnant : une phrase et quelques paramètres suffisent aux IA génératives pour produire des visuels bluffants, dans une flopée de styles différents, le tout en quelques secondes.

Ce véritable gain de productivité pour les créatifs n'est en revanche pas sans poser quelques questions de propriété intellectuelle. Une œuvre générée par IA profite-t-elle, au même titre, qu'une œuvre créée par un humain de la protection conférée par le droit d'auteur ? Si la question paraît simple, l'arsenal législatif français n'est guère bavard sur le sujet.

L'originalité de l'œuvre primordiale

En France, pour qu'une œuvre artistique soit protégée par le droit d'auteur, il est nécessaire que cette dernière "soit originale, c'est la condition légale", rappelle Charles Bouffier, avocat associé du cabinet Racine. L'originalité est régie dans ce cadre par "l'expression de la personnalité de l'auteur." Avec les productions générées par IA, toute la subtilité réside dans l'interprétation de cette expression. La difficulté étant d'établir un "lien entre l'œuvre à la sortie de l'IA générative et les instructions, les prompts, autrement dit, le rôle de l'humain qui a utilisé l'IA générative", détaille maître Bouffier.

Une position qu'abonde Matthieu Dhenne, avocat spécialiste de la propriété intellectuelle, conseil de l'agence de branding Be Dandy. "La problématique réside dans "l'originalité d'une œuvre, qui implique traditionnellement, en droit français, qu'elle porte l'empreinte de la personnalité du créateur. C'est un élément essentiel en droit d'auteur."

Brasser les visuels pour maximiser l'originalité

Chez Brainsonic, agence de communication 360 qui compte plus de 130 employés, le virage de l'IA générative a été pris très tôt, à l'aube de l'été 2022. Très rapidement, les collaborateurs de l'entreprise ont été formés aux rudiments de ChatGPT et Midjourney. Ces deux outils sont aujourd'hui majoritairement utilisés au quotidien par les équipes, nous confie Mathieu Crucq, directeur général de Brainsonic. "Nous utilisons Stable Diffusion pour la génération d'images et de vidéos, ainsi que d'autres outils spécialisés dans la synthèse vocale, le traitement du son, et la création d'environnements 3D", explique le chef d'entreprise.

Pour protéger l'ensemble des productions visuelles générées par IA, les créatifs sont invités à "brasser les éléments graphiques et à les combiner de manière à éviter toute ressemblance trop forte avec des œuvres existantes ou des visages de personnes réelles." Brainsonic souhaite ainsi éviter de générer des œuvres enregistrées par les modèles lors de la phase d'apprentissage. Enfin, pour prévenir tout risque de reproduire le visage d'une personne réelle, l'agence s'est dotée "d'outils de reconnaissance faciale pour détecter les similitudes potentielles avec des visages existants".

Chez Brainsonic, l'IA générative est également utilisée pour faciliter la création d'éléments visuels de branding. En plus de Midjourney, les collaborateurs ont recours à Adobe generative fill, essentiellement pour la complétion. Pour protéger les œuvres produites par IA, la société mise sur l'expression artistique humaine derrière l'IA. Les productions de la machine ne sont pas directement utilisées. Le visuel est retravaillé, "brassé", afin de rendre l'œuvre la plus originale possible.

Une législation favorable en France

Mathieu Crucq reconnaît toutefois un flou juridique en matière de protection. "Un visuel IA peut-il être copyrighté ? En réalité, la question, c'est dans quelle proportion? Est-ce que si je prends un visuel IA et que je le retouche, et qu'à la fin, il n'y a plus que 10% d'IA, est-ce que cela rentre ? Est-ce que si c'est 50% d'IA c'est bon ? Et avec 80% d'IA ? Pour le moment, personne n'a la réponse". Au regard de la justice, toute l'importance réside donc dans l'expression de la personnalité de l'auteur. "Aucune juridiction pour l'instant ne s'est prononcée sur cette épineuse question en France ni à ma connaissance dans l'UE", précise Charles Bouffier.

A noter le cas spécifique de la création de logo ou d'identité visuelle de marque grâce à l'IA, pour lesquels d'autres textes législatifs peuvent entrer en compte. Maitre Dhenne évoque notamment la possibilité d'évoquer d'autres protections, "comme le droit des marques ou le droit des dessins et modèles." Dans la théorie, "rien ne vous empêche d'enregistrer un logo tant qu'il n'a pas été enregistré précédemment et qu'il répond aux exigences posées par ces matières", indique le spécialiste.

De son côté, Charles Bouffier rappelle qu'il est également possible d'agir sur d'autres fronts réglementaires en cas de litige : "Si une personne copie servilement des logos créés avec des IA génératives (...), on pourrait éventuellement agir contre lui en concurrence déloyale ou en concurrence parasitaire, parce que cette personne aura indûment profité des fruits de notre travail." L'auteur de l'infraction pourrait alors être "sanctionné sur le fondement de la responsabilité civile."