E-commerce alimentaire : la bataille de la livraison à domicile va s'intensifier

E-commerce alimentaire : la bataille de la livraison à domicile va s'intensifier Reprenant les codes de la "tournée du laitier", la livraison à domicile gratuite pourrait être le nouvel eldorado de l'e-commerce alimentaire. Pour l'heure, elle attise la curiosité des acteurs.

"Pour l'alimentaire, la bataille principale est sur l'e-commerce", assure Laurent Thoumine, directeur Europe de la division Retail chez Accenture. Le volume d'affaires de la vente en ligne de produits de grande consommation (PGC) a cru de 86% entre 2019 et 2024 selon la Fevad, faisant de l'alimentaire le troisième pôle de dépense des e-acheteurs français avec 18% de parts de marché. En parallèle, le chiffre d'affaires global des PGC a reculé de 0,5% en 2024 selon les données de Circana. "La taille du gâteau sera la même dans les trois années à venir, la croissance passera donc par la vente en ligne", confirme-t-il.

Regarder au-delà du drive

Seulement, comment croître quand E.Leclerc représente près de 50% des parts de marché du drive ? La réponse se trouve dans la livraison à domicile, répond Laurent Thoumine. Si cette dernière ne représente que 10% de l'e-commerce alimentaire, c'est du fait de son coût : elle est facturée huit euros au client final quand le service drive est gratuit. Il y a quatre ans, en arrivant en France, le pure player néerlandais Picnic a fait sauter cette barrière et propose des produits aux prix d'hypermarchés avec une livraison à domicile gratuite. Une petite révolution pour le secteur.

Avec quelle recette ? "Pour que le coût soit minimisé, la livraison est optimisée sous forme de tournée", explique Laurent Thoumine. En effet, les livraisons sont planifiées à J+1 de manière à regrouper les commandes des habitants d'un même quartier sur des créneaux horaires communs. "Notre système est simple : chaque quartier n'est desservi que deux fois par jour, avec des créneaux de 20 minutes. Cela nous permet d'organiser des tournées optimisées que nous finalisons la veille pour le lendemain", précise Grégoire Borgoltz, directeur des opérations chez Picnic France. De plus, sans magasin physique, Picnic centralise ses activités dans un ou deux entrepôts par métropole et s'approvisionne via la centrale d'achat d'Intermarché. "A Valenciennes par exemple, notre loyer est de seulement 35 000 euros par an", partage le directeur des opérations. Pour optimiser sa structure de coûts, Picnic limite également les dépenses marketing.

Un modèle qui convainc

Pionnier sur ce marché, l'entreprise néerlandaise a rapidement convaincu les clients. Dans le Nord, où l'entreprise a débuté, elle réalise aujourd'hui 30% de son chiffre d'affaires. "L'année dernière nous avons réalisé entre 50 et 80 millions de chiffre d'affaires dans le Nord, confie Grégoire Borgoltz. Nous sommes un gros poisson dans une petite mare". En six mois à Valenciennes, sa première ville d'implantation, le pure player a conquis 1 000 clients hebdomadaires. "Il est facile d'exister sur un marché ultra concurrentiel quand on est le moins cher, estime le directeur des opérations de Picnic France. Hier vous commandiez en drive, aujourd'hui vous pouvez dépenser le même prix mais les courses sont livrées gratuitement chez vous. Finalement, Picnic est plus une évolution du drive qu'une anomalie sur un marché français".

Et pour preuve, l'acteur historique du drive, Chronodrive, s'est lui aussi mis à la livraison programmée. L'entité d'Auchan propose depuis octobre 2024 deux services : une livraison classique à 7,90 euros et une tournée programmée à 0,90 euro, s'appuyant sur l'expertise de Cagette et Paprika. La start-up française qui avait répliqué le modèle de la tournée du laitier a été rachetée par Auchan en 2022. L'enseigne avait d'abord tenté de lancer elle-même le service en mars 2023 avec Auchan Ecolivraison avant de confier le service au pure player Chronodrive. Après six mois de lancement, "les paniers de course que nous livrons sont bien supérieurs à ce que nous mettons dans le coffre de nos clients", constate Charlotte Peutin, directrice commerciale et expérience clients. Selon elle, le panier moyen en livraison à domicile atteint celui d'un grand supermarché. "C'est l'activité qui connaît la croissance la plus forte mais cela reste une part plus faible que le drive", partage Charlotte Peutin. Pour donner toutes ses chances à son nouveau service, Chronodrive l'a déployé dans toute la France. "Je n'ai pas beaucoup de doutes sur le fait que les autres enseignes suivent et intègrent également ce modèle", partage Laurent Thoumine.

Pour Laurent Thoumine, ces initiatives tracent une tendance de fond : "La livraison à domicile, soit sous la forme de la tournée du laitier, soit dans une forme plus classique, va continuer à progresser avec un effacement progressif des frais de livraison". Résultat ? Le drive va perdre un peu de parts de marché parce que ses services paraîtront moins généreux selon le directeur Europe de la division Retail chez Accenture.

Une rentabilité délicate

La profitabilité reste le principal défi de la livraison à domicile. "Les marges diminuent à chaque niveau : de l'euro en hypermarché, nous passons aux centimes en drive, puis aux dixièmes de centimes pour la livraison à domicile", reconnait Charlotte Peutin de Chronodrive. De son côté, Picnic doute de la capacité des enseignes à répliquer son modèle. "La raison pour laquelle ça fonctionne chez nous et pas chez la plupart des retailers, c'est justement qu'on développe notre tech nous-mêmes, estime Grégoire Borgoltz. Nous sommes très efficaces parce que très intégrés, et surtout, nous n'avons pas de parc de magasins qui nous coûtent une fortune."

Mais Laurent Thoumine n'en démord pas, les acteurs de la grande distribution prendront des parts sur le terrain de la livraison à domicile et les magasins joueront un rôle clé pour préparer les commandes. Le modèle de Tesco outre-Manche montre la voie : le leader européen de l'e-commerce repose sur un abonnement à 5 livres par mois pour se faire livrer gratuitement ses courses. "Nous allons voir une sophistication et un investissement significatif dans les technologies d'aide à la préparation des commandes en magasin, prédit le directeur Europe de la division Retail chez Accenture. Une reconfiguration de l'e-commerce alimentaire qui ne sera pas inintéressante."