Procès Meta : une partie loin d'être perdue pour Zuckerberg

Procès Meta : une partie loin d'être perdue pour Zuckerberg Le procès du géant californien pour pratiques anticoncurrentielles, intenté par le gendarme américain de la concurrence, s'est ouvert lundi à Washington, et devrait se prolonger sur huit semaines.

Avant d'acquérir Instagram en 2012, Mark Zuckerberg a écrit dans un courriel interne qu'il cherchait à "neutraliser un concurrent potentiel". Deux ans plus tard, alors que son entreprise s'apprêtait à racheter WhatsApp, rebelote : le dirigeant de Facebook (devenu Meta) écrit à ses équipes que l'application de messagerie représente "un gros risque pour nous."

Des déclarations qui reviennent désormais hanter Mark Zuckerberg, alors que le procès antimonopole opposant son entreprise à la FTC, le gendarme américain de la concurrence, s'est ouvert lundi 14 avril à Washington. Il fait suite à une longue enquête contre les pratiques anticoncurrentielles du réseau social californien, démarrée sous le premier mandat de Donald Trump.

La doctrine Khan

Lors des deux premiers jours de l'audience, Daniel Matheson, l'avocat de la FTC, a brandi ces courriels pour appuyer la position de la FTC : l'entreprise de Mark Zuckerberg a utilisé sa puissance, sa taille et sa fortune pour racheter les concurrents qui risquaient de lui faire de l'ombre et s'assurer ainsi une position ultra-dominante. "Meta a décidé qu'affronter la concurrence était trop difficile", a-t-il déclaré lundi lors de l'ouverture du procès, "et qu'il était plus facile de racheter ses rivaux que de les affronter."

Les deux rachats ont, selon la FTC, conduit à une offre de moins bonne qualité pour les utilisateurs, étant donné qu'une fois ses concurrents rachetés, Facebook n'a pas connu les mêmes incitations pour innover et améliorer ses produits qu'Instagram et WhatsApp auraient eu s'ils étaient demeurés indépendants et avaient dû lutter pour leur survie.

Cet argument fait écho à un changement de doctrine au sein de la FTC, initié par la précédente présidente, Lina Khan, nommée par Joe Biden. Depuis les années 1970, prévalait la doctrine du consumer welfare, ou doctrine Bork, du nom du juge de la Cour Suprême Robert Bork, disciple de la très libérale école de Chicago.

Selon celle-ci, il ne suffit pas qu'une entreprise soit en situation de monopole pour qu'elle tombe sous le coup de la loi : il faut que ce monopole entraîne des conséquences négatives concrètes pour le consommateur, en particulier une hausse des prix. Lina Khan, de son côté, considère qu'à l'heure des plateformes web, se focaliser sur les prix est insuffisant, et qu'il faut également prendre en compte la diversité du paysage compétitif, ainsi que la qualité de l'innovation et des produits. Elle prend notamment l'exemple d'Amazon, qui a utilisé la baisse des prix comme une méthode pour étouffer la concurrence, ce qui a nui aux consommateurs sur le long terme après leur avoir bénéficié à court terme. Si Lina Khan ne dirige plus la FTC suite à la victoire de Donald Trump, son successeur, Andrew Ferguson, a affirmé vouloir poursuivre dans la même voie.

La défense de Mark Zuckerberg

Mark Zuckerberg, après avoir tenté en vain de faire capoter le procès en menant une opération séduction auprès de Donald Trump, est venu à la barre pour défendre son entreprise lundi et mardi. Vêtu d'un costume sombre et d'une cravate bleu clair, il a calmement plaidé sa cause, assurant que les courriels cités par l'attaque représentaient une vision que Facebook a rapidement abandonnée par la suite.

Réagissant à un courriel de février 2012 dans lequel il déclarait vouloir continuer de faire tourner Instagram sans toutefois y ajouter de nouvelles fonctionnalités, le dirigeant de Meta a souligné les nombreux investissements dédiés à Instagram pour améliorer son fonctionnement par la suite.

Il a également argué avoir racheté Instagram non pas pour éliminer un dangereux concurrent, mais parce qu'il était impressionné par la qualité du produit. "L'application prenait de bonnes photos, les filtres étaient excellents, le produit était développé avec bon goût, et apportait une expérience qui séduisait les utilisateurs", a-t-il déclaré.

Y a-t-il une réelle concurrence à Meta ?

Le dirigeant de Meta a par ailleurs ferraillé avec la FTC sur la définition précise de ce que fait l'entreprise, ce qui n'est pas anodin, dans la mesure où cela doit permettre de déterminer à quel point celle-ci exerce une position dominante sur son marché. La FTC affirme que Meta est un réseau social conçu pour permettre à des amis de se retrouver en ligne, qui ne compte aucun véritable concurrent dans ce domaine aux Etats-Unis, à l'exception de Snapchat. Selon cette définition, d'après la FTC, Meta contrôle 78% du marché, en comptant le nombre d'abonnés mensuels.

Meta, de son côté, affirme que la FTC adopte une définition volontairement réductrice de son marché afin de donner l'impression d'un monopole. Si le fait de permettre aux utilisateurs d'entrer en contact avec leurs amis et leur famille sur la toile est l'une des fonctions principales du groupe, celui-ci est aussi "un acteur du divertissement" qui permet à ses utilisateurs "de suivre l'actualité et d'en apprendre davantage sur le monde", a argumenté Mark Zuckerberg lors de l'audience. L'entreprise assure ainsi que TikTok, YouTube, LinkedIn et X constituent également des concurrents, et que si l'on mesure le temps que les utilisateurs passent sur chaque application, la part de marché de Meta n'est que de 30%.

Mark Hansen, l'avocat principal de Meta, a ainsi souligné que la vidéo comptait pour la moitié de l'engagement des utilisateurs sur Facebook et Instagram, mettant le groupe en compétition directe avec YouTube et TikTok. Il a aussi souligné que lorsque TikTok a été temporairement interdite en janvier, Facebook et Instagram avaient connu un afflux d'utilisateurs, ce qui prouve selon lui que les deux entreprises sont bel et bien en concurrence.

Pourquoi la victoire s'annonce difficile pour la FTC

Si le procès est sans doute l'un des plus gros défis auxquels soit confronté Meta depuis le début de son histoire, la défaite de l'entreprise est loin d'être garantie. Même si, malgré le retour de Donald Trump au pouvoir et le ralliement d'une partie de l'industrie de la tech derrière lui, la FTC semble déterminée à poursuivre activement la lutte contre les monopoles technologiques, comme le souhaite d'ailleurs une partie de la coalition MAGA, JD Vance en tête.

La barre pour faire condamner Meta est cependant assez haute, selon Darrell West, chercheur spécialisé dans la régulation des nouvelles technologies à la Brookings Institution, un laboratoire d'idées. "La FTC doit prouver que Meta s'est comporté en prédateur et a nui aux consommateurs. Elle peut certes compter sur de vieux courriels et des témoignages d'anciens cadres pour appuyer sa position. Mais il est très difficile de prouver que l'on fait du mal aux consommateurs avec un produit entièrement gratuit."

Le fait que les acquisitions aient eu lieu il y a plus de dix ans complique également le dossier : il est extrêmement rare que les tribunaux ordonnent à une entreprise de se séparer d'une filiale rachetée des années auparavant. En la matière, la FTC peut toutefois s'appuyer sur un cas similaire récent. En 2021, un tribunal a ordonné à l'entreprise industrielle Jeld-Wen de revendre une société rivale rachetée en 2012, arguant que ce rachat heurtait la concurrence. S'il s'agit d'un secteur économique totalement différent de celui de Meta, et si l'entreprise est de beaucoup plus petite taille, cela créé malgré tout un précédent juridique qui, dans un droit américain où la jurisprudence occupe un rôle central, a son importance.

Après la défaite de Google, qui fait désormais face à la possibilité d'un démantèlement, contre le Département de la Justice, une condamnation de Meta achèverait de signaler que la lutte contre les monopoles technologiques a pris une autre dimension aux Etats-Unis et que l'impunité dont ont longtemps joui les big tech est bel et bien révolue, quel que soit le parti au pouvoir.