Le procès Meta, baromètre de l'attitude de l'administration Trump 2.0 sur la tech et les monopoles
Quelle faction est-elle en passe de s'imposer au sein de la coalition MAGA ? Celle qui prône la lutte contre les monopoles, y compris technologiques, la défense des travailleurs, la restriction de l'immigration, et privilégie la défense de l'identité à la croissance économique ? Ou celle qui veut confier les manettes aux entrepreneurs du numérique, baisser les impôts sur les entreprises et les grandes fortunes, promouvoir les cryptomonnaies et accélérer la croissance de l'économie ? Si la vague sans précédent de droits de douane décidée par le président offre un premier élément de réponse, le procès de Meta qui s'ouvre lundi 14 avril est également à suivre de près.
Opposant l'entreprise de Mark Zuckerberg à la FTC, le gendarme américain de la concurrence, il s'agit à la fois de la plus grosse procédure antimonopole intentée contre Meta au cours de son histoire, et du premier gros dossier géré par le nouveau directeur de la FTC nommé par Trump, Andrew Ferguson. Si celui-ci a affirmé vouloir poursuivre la lutte acharnée contre les monopoles menée par sa prédécesseuse, Lina Khan, le procès va constituer un premier test grandeur nature pour ses intentions. L'enjeu est énorme pour Meta, qui, dans le pire des cas, pourrait être contraint de se séparer de WhatsApp et/ou d'Instagram, causant un séisme dans le modèle publicitaire intégré qui a fait la fortune du groupe.
Enfin, le résultat du procès aura par ailleurs un impact sur la conduite de l'antitrust américain dans les années à venir : même si Andrew Ferguson s'avère déterminé à lutter contre les Gafam, une défaite de son agence serait un camouflet pour celle-ci et renforcerait la confiance des big tech dans leur capacité à défier les autorités régulatrices. A l'inverse, une lourde condamnation de Meta illustrerait la détermination de la FTC à gagner ses batailles et pourrait faire souffler un vent de panique parmi les géants de la tech américains.
Zuckerberg veut mettre Trump dans sa poche
En amont du procès, Mark Zuckerberg s'est rendu à plusieurs reprises à la Maison Blanche pour s'y entretenir avec Donald Trump, dans l'espoir d'inciter le président à pencher en sa faveur lors du procès.
Des manœuvres qui font suite à une opération séduction menée par le patron de Meta sur le nouveau président, et ce dès la campagne présidentielle. Mark Zuckerberg avait alors salué l'attitude courageuse du candidat Trump après l'attentat qui avait failli lui coûter la vie. Depuis la réélection de celui-ci, le patron de Meta a effectué plusieurs voyages à Mar-a-Lago, donné un million d'euros pour la cérémonie d'inauguration du président réélu, regretté que la culture d'entreprise soit devenue trop "féminine" dans le podcast de Joe Rogan, très populaire auprès du public conservateur, et supprimé ses équipes de modération de contenu, que Trump accuse de longue date de censurer les voix de la droite américaine.
En janvier, Meta a également passé un accord pour régler un procès que Trump lui avait intenté suite à la suppression de son compte après l'attaque du Capitole, acceptant de verser 25 millions de dollars, dont 22 iront à un fond au service de la future bibliothèque présidentielle de Donald Trump.
L'emprise croissante de Trump sur la FTC
S'il est chargé d'en nommer le directeur, le président américain n'a en théorie pas le pouvoir d'influencer les décisions de la FTC, celle-ci étant indépendante. Toutefois, Donald Trump a pris depuis le début de son mandat plusieurs mesures visant à renforcer son contrôle sur les agences fédérales, y compris la FTC. En février, il a signé un décret indiquant que celles-ci devaient être sujettes à la "supervision et au contrôle" du président.
Les membres de la FTC ont reçu l'instruction de ne plus présenter l'agence comme "indépendante", et Donald Trump a en mars licencié les deux commissaires démocrates de la FTC, une décision qui va à l'encontre de la jurisprudence fixée par la Cour suprême et ne laisse que deux commissaires actuellement en poste au sein de l'agence, tous deux républicains. La FTC doit compter cinq commissaires, dont trois issus du parti présidentiel et deux de l'autre. Un troisième commissaire républicain, Mark Meador, doit être nommé par le Sénat durant les prochaines semaines. Deux autres commissaires démocrates seront également choisis, mais l'agence se retrouve en attendant exclusivement entre les mains du parti présidentiel.
Si les deux démocrates virés par Donald Trump ont dénoncé une tentative de rendre l'agence plus favorable aux grosses entreprises, Andrew Ferguson a de son côté répété sa volonté d'agir dans les pas de Lina Khan, en maintenant une ligne dure contre les Gafam. Il fait en effet partie de la frange populiste du Parti républicain, de plus en plus influente depuis l'ascension de Trump. Contre la ligne traditionnelle du parti, très favorable aux entreprises et aux citoyens les plus aisés, elle entend défendre les travailleurs et les classes populaires contre les puissants. Dans une récente interview à Bloomberg, Andrew Ferguson a également affirmé n'avoir aucune intention de retenir ses coups contre Meta lors du procès. Récemment interrogé sur ce qu'il fera si Trump lui demandait d'abandonner le procès, il a toutefois préféré botter en touche.
L''antitrust US a repris du poil de la bête
Depuis la première présidence Trump, et plus encore sous l'administration Biden, la lutte antimonopole a connu un sérieux coup de fouet aux Etats-Unis, le Département de la Justice et la FTC multipliant les actions contre la domination des géants technologiques. Les autorités antimonopoles ont enregistré plusieurs victoires, parmi lesquelles figurent l'ouverture du procès contre Meta, la condamnation de Google l'an passé pour monopole sur la recherche en ligne, et le blocage de la fusion entre Nvidia et Arm, deux géants des semi-conducteurs. Elles ont aussi essuyé plusieurs défaites, échouant à bloquer l'acquisition d'Activision Blizzard par Microsoft et celle de MGM par Amazon.
La lutte acharnée contre les monopoles menée par Lina Khan à la tête de la FTC et Jonathan Kanter, en charge de la division antimonopole du Département de la Justice, a conduit une partie de l'industrie de la tech à se détourner du parti démocrate et à soutenir Donald Trump lors de sa campagne de réélection. La coalition MAGA est toutefois fracturée entre une frange populiste favorable à la poursuite de la lutte contre les monopoles et une aile techno-libertarienne qui souhaite privilégier la bonne marche des affaires. Quel que soit le résultat du procès opposant la FTC à Meta, il est fort probable qu'il déçoive l'une de ces deux factions.