Vos collègues peuvent plus facilement témoigner contre vous pour soutenir votre employeur

Vos collègues peuvent plus facilement témoigner contre vous pour soutenir votre employeur Une récente décision de la Cour de Cassation facilite désormais les témoignages à l'encontre d'un salarié en conflit avec son employeur.

Le 19 avril 2023, la Cour de Cassation chargée de vérifier la bonne application de la loi par les tribunaux a pris une décision qui pourrait porter préjudice à de nombreux salariés. L'affaire concernait un agent de fabrication de la société Airbus à Toulouse qui avait été mis à pied par son employeur le 11 juillet 2017 pour des faits de harcèlement moral et sexuel. C'est afin de lever cette sanction que le salarié a d'abord saisi le Conseil des Prud'hommes, l'affaire est ensuite passée en appel et a fini devant la Cour de Cassation.

Par l'arrêt rendu le 28 mai 2021, la Cour d'Appel de Toulouse ne reconnaissait pas l'existence des faits reprochés au salarié. Pourtant, l'employeur avait présenté des témoignages de salariés qui se disaient victime de leur collègue mis à pied, mais ceux-ci étaient anonymisés (rendus anonymes après dépôt). La Cour d'appel refusait de les prendre en compte, estimant que se baser uniquement sur ce type de preuves était inapproprié et que des accusations qui ne citent pas l'identité des témoins empêcheraient le salarié mis en cause de se défendre efficacement.

Toutefois, lorsque l'affaire a été portée en la Cour de Cassation, celle-ci a eu une lecture différente. Elle a en effet invoqué le principe de liberté de la preuve en matière prud'homale résultant de l'article 6 de la Convention des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Concrètement, si le juge ne peut pas fonder sa décision uniquement sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, lorsque ceux-ci sont corroborés par d'autres éléments permettant d'en analyser la crédibilité et la pertinence.

Il y a donc une distinction à faire entre les témoignages anonymes, émanant d'une personne dont l'identité est inconnue, et les témoignages anonymisés, rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l'identité est connue par la commission d'enquête et par l'employeur.

Considérant que d'autres éléments que les témoignages anonymisés constituaient le dossier, la Cour de Cassation a accepté de les prendre en compte. Alors que, pour un salarié, il peut être difficile de réunir le témoignage de collègues à l'encontre de l'employeur de crainte de représailles, la Cour de Cassation admet le témoignage anonymisé comme preuve possible contre le salarié.

Si le respect de l'anonymat a pour but de protéger les témoins d'un salarié mis en cause, la question d'un procès équilibré dans ce cas et pour les futurs salariés qui feront l'objet d'une enquête interne peut se poser. La protection justifiant l'anonymat peut selon les affaires être difficile à évaluer et comme l'avait énoncé la Cour d'appel, il est compliqué d'argumenter contre des témoignages dont les auteurs restent inconnus.

A ce sujet, le site Cadre Averti dénonce "un pas nouveau franchi dans l'absence de protection juridique du salarié objet d'une enquête interne" et fait part de son incompréhension en rappelant qu'au pénal, seuls les crimes ou délits punis d'au moins 3 ans de prison peuvent autoriser à témoigner sans que le nom des témoins apparaisse dans la procédure.