Où en est-on du télétravail en 2025 ?
Le télétravail a connu une ascension fulgurante avec la crise sanitaire de 2020, s'imposant comme une réponse incontournable aux contraintes sanitaires. Mais où en est-on en 2025 ?
1. Le cadre juridique du télétravail
1.1 Définition et principes réglementaires
Le télétravail est défini par l'article L.1222-9 du Code du travail comme « toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être effectué dans les locaux de l'employeur est réalisé hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication ».
Les règles légales invitent largement l’employeur et les partenaires sociaux à formaliser le recours au télétravail en priorité via un accord collectif d’entreprise. C’est en effet une option à privilégier pour fixer des règles parfaitement adaptées à l’entreprise et à la réalité des travailleurs, en réfléchissant conjointement aux modalités visant à préserver le collectif de travail.
1.2 La mise en place du télétravail
L'accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020, étendu le 2 avril 2021, a renforcé le cadre juridique en mettant en avant plusieurs principes clés :
- Le caractère volontaire et réversible du télétravail ;
- L'importance de la protection des données et du respect de la vie privée ;
- La prise en charge des frais professionnels par l'employeur.
Si comme indiqué précédemment la voie de l’accord collectif est la plus adéquate, il n’est pas toujours possible d’y recourir.
Aussi en l'absence d'accord collectif, l'employeur peut mettre en place le télétravail par une charte, après consultation du comité social et économique (CSE).
Cette charte doit préciser les conditions de passage en télétravail, les modalités de retour à une exécution du travail sans télétravail, les modalités d'acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail, les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail, et la détermination des plages horaires durant lesquelles l'employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail.
Si l’employeur n’a pas élaboré de charte, le télétravail reste possible. Dans ce cas, le code du travail prévoit que l’employeur et le salarié concerné par le télétravail devront « formaliser leur accord par tout moyen ». Il est dès lors fortement conseillé de préciser dans un document contresigné les modalités dans lesquelles sera mis en place le télétravail pour éviter toute difficulté ultérieure.
1.3 Le télétravail devant les juridictions
Si en première instance et en appel de nombreuses affaires ont concerné le télétravail depuis sa multiplication issue de la crise covid, il y a finalement à ce jour peu d’affaires qui sont remontées jusqu’à la Cour de cassation. L’examen de quelques décisions rendues par les cours d’appel, permettent d’en identifier la raison. En effet, les décisions rendues étaient pour la plupart déjà connues et / ou ne sont venues réaffirmer que des principes déjà éprouvés.
Un des sujets qui amène souvent le télétravail devant le conseil de prud’hommes et sans nul doute celui des frais qui doivent, ou non, être pris en charge par l’employeur. Le sujet est d’autant plus épineux que les règles légales sont inexistantes sur ce point. S’il est évident que l’employeur est, en toute hypothèse, tenu de fournir les équipements qui permettent la réalisation de la prestation de travail, quid des besoins à l’ère où la quasi-totalité des salariés disposent chez eux d’une connexion internet voire même d’un ordinateur personnel via lequel le télétravail peut être réalisé ? Dès lors, l’employeur doit-il rembourser les frais d’abonnement internet ? Dans quelle proportion ? Jusqu’à quel degré d’équipement est-il débiteur de l’obligation de tout mettre à disposition du salarié (bureau ? chaise ergonomique, etc) ? Ces questions, si elles ne sont pas traitées par accord collectif, peuvent donner lieu à du contentieux. Il serait d’ailleurs intéressant, dans le silence des textes, que la Cour de cassation donne une ligne claire sur ce point. Pour l’heure, les décisions sont fluctuantes au gré des juridictions. On pourra citer, à titre d’exemple, que dans une affaire récente la Cour d’appel de Versailles a condamné l’employeur à rembourser les frais réellement engagés par le salarié dans le cadre du télétravail (CA Versailles, 21 mars 2024, n°22/01810). La solution semble logique mais encore une fois, la diversité des situations de télétravail implique à la prudence sur ces questions et surtout à une bonne clarification, en amont de la mise en place du télétravail, des questions de prise en charge des frais et équipements.
Une question a été récemment tranchée par la Cour de cassation sur un autre point. Il s’agissait du cas où une salariée, avait été déclarée inapte à son poste mais le médecin du travail avait indiqué : « pourrait occuper un poste administratif sans déplacement et à temps partiel en télétravail avec aménagement du poste approprié ». L’employeur n’avait pas donné suite à cette possibilité de reclassement en indiquant que dans sa structure (en l’espèce une association), le télétravail n’était pas mis en place.
La Cour de cassation a validé la position des juges d’appel qui avaient retenu que le poste qu’occupait la salariée avant son inaptitude, ne comportait que des missions qui pouvaient être réalisées à domicile. Pour les magistrats, le télétravail pouvait alors être mis en place, notamment au moyen d’un avenant au contrat. Ainsi, l’employeur ne pouvait se prévaloir du simple fait que sa structure ne recourait pas au télétravail, et si celui-ci était la seule manière de reclasser le salarié, le télétravail en tant que simple mode d’organisation du travail, aurait dû être envisagé.
Cette solution de la Cour de cassation a pour conséquence d’obliger l’employeur a envisager le télétravail dès lors qu’il s’agit de reclasser un salarié. Ce n’est que si le télétravail est impossible qu’il pourra s’en affranchir (Cass. Soc., 29 mars 2023, n° 21-15.472).
Il est intéressant de constater que le télétravail est ici utilisé comme une protection de la continuité de la relation contractuelle. Cette décision aurait-elle été la même avant la démocratisation du télétravail lié à la crise sanitaire ? Elle n’aurait potentiellement jamais été ne serait-ce qu’évoquée tant ce mode d’organisation était anecdotique en France jusqu’alors.
2. Un télétravail en mutation ?
2.1 Un mode de travail apprécié par les salariés
Certaines entreprises ont adopté le télétravail comme une pratique durable, attirant ainsi de nouveaux talents et réduisant leurs coûts immobiliers. Selon une étude récente, 26% des salariés télétravaillent en France, soit 17 points de plus qu’en 2019 (source Dares, enquête Tracov 2). Il est intéressant aussi de souligner que selon cette même étude, 44% des télétravailleurs aimeraient faire davantage de télétravail.
Ce modèle hybride permet aux salariés de concilier vie professionnelle et personnelle tout en maintenant une présence en entreprise. Les salariés apprécient la flexibilité offerte par le télétravail, qui leur permet de mieux gérer leur temps et de réduire les contraintes liées aux déplacements domicile-travail.
2.2 Un retour au présentiel imposé par certains employeurs
En revanche, il n’est plus rare de voir des entreprises opter pour un retour en présentiel, arguant d'une baisse de la productivité ou d'un manque de cohésion d'équipe. Certains employeurs justifient cette décision par l'importance du contrôle des obligations des salariés en présentiel et le respect des engagements contractuels. Le retour en présentiel peut également être motivé par le besoin de renforcer le collectif de travail ou favoriser les interactions entre collègues.
Dans une étude de novembre 2023 d’Opininionway pour Slack, 42% des répondants indiquaient que leur employeur leur avait imposé des jours de présence sur site. Seuls 16% des répondants indiquaient qu’aucune mesure de retour en présentiel n’avait été mise en place.
Un biais culturel existe sans doute dans l’appréhension du travail à distance plus que du télétravail lui-même. En effet, en France il existe une véritable culture du présentéisme qui pourtant n’est pas nécessairement synonyme de productivité accrue. Mais ces croyances semblent fortement ancrées dans certaines structures où la notion de travail semble avant tout rattachée au fait d’être vu au travail.
Pour autant, le « peu » de jurisprudence en matière de télétravail pourrait amener à la conclusion que le sujet n’est pas une source majeure de différend entre l’employeur et le salarié. Sauf à considérer que c’est le recours modéré à ce mode d’organisation du travail qui en fait un sujet peu présent dans les arrêts rendues par la Cour de cassation…
3. Les défis juridiques et organisationnels du télétravail
3.1 Protection de la santé des travailleurs et droit à la déconnexion
Le développement du télétravail impose aux employeurs une vigilance accrue quant à la protection des données personnelles et au respect du droit à la déconnexion. L'obligation des entreprises de prévenir les risques de surcharge de travail et plus généralement de veiller à la santé mentale des salariés n’a jamais été aussi accrue.
Si le télétravail peut sembler de prime abord être une solution de prévention des risques psychosociaux en ce qu’il permet au salarié une meilleure conciliation vie professionnelle et vie personnelle, il ne faut pas perdre de vue qu’il peut également être une source de risque.
A titre d’exemple, le fait que le salarié soit éloigné physiquement du collectif de travail plusieurs jours, qu’il n’ait plus de frontière physique entre son lieu de travail et de vie, sont des sources potentielles non négligeables d’atteinte à la santé mentale et au droit à la déconnexion.
Pour s’en prémunir, l’accord collectif sera, là encore sans nul doute un excellent moyen de prévoir des mécanismes de protection du droit à la déconnexion du salarié, tout en veillant à proposer des solutions permettant au collectif de travail d’exister pour permettre aux salariés de préserver leurs relations malgré la distance physique induite par le télétravail.
3.2 Le télétravail, facteur d’inclusion
Les évolutions récentes en matière de télétravail visent à l’utiliser comme un moyen d’inclusion.
Grâce notamment à la loi du 19 juillet 2023 (n°2023-622), les salariés aidants, tout comme les salariés en situation de handicap, sont visés par l’article L. 1222-9 du code du travail, comme les publics à intégrer dans la prise en compte des modalités de mise en place du télétravail dans l’entreprise.
3.3 Vers une généralisation du télétravail ?
L'essor des nouvelles technologies, l'évolution des mentalités sur le sujet, mais également les problématiques immobilières et de transports dans les grandes villes constituent sans aucun doute des facteurs de développement du télétravail.
La législation devra sans doute venir préciser certains points, notamment en prévoyant des dispositions supplétives en l’absence d’accord collectif pour sécuriser ce mode d’organisation du travail particulier.
La démocratisation au sein des entreprises d’un télétravail véritablement encadré participera à son développement dans de bonnes conditions, tant pour les entreprises que pour les salariés.
Enfin, dans une dimension plus sociale mais aux répercussions juridiques certaines, des réflexions sur la notion de collectif de travail et de représentation des salariés seront les bienvenues pour permettre un développement conscient et réfléchi du télétravail et son impact sur la relation de travail salariée.