Patrick Escande (Free Pro) "Pour Free Pro, IA et 5G vont de pair"

Le JDN est partenaire de l'événement Free Pro Hubdate, organisé le 25 septembre prochain à Paris. A cette occasion, Patrick Escande, directeur délégué Recherche et Innovation revient sur l'état du marché de la 5G privé en France.

JDN. Vous interviendrez le 25 septembre lors d'une table ronde intitulée " 5G privée, quels nouveaux usages en entreprise ?". Avant de décrire les usages, pouvez-vous nous indiquer quel est l'état du marché ?

Patrick Escande est directeur délégué recherche et innovation de Free Pro © Free Pro

Patrick Escande. Le développement de la 5G privée en France est un peu lent car aujourd'hui, les équipements et les solutions sur le marché concernent principalement une certaine typologie d'entreprise, à savoir les grands sites industriels comme les ports. Pour les autres, nous en sommes encore aux tests. On échange beaucoup avec l'équipementier Nokia (partenaire d'Iliad) et d'autres partenaires, et on observe que le déploiement d'un réseau privé 5G prend du temps, tout le monde apprend en marchant. La pénétration sur le marché reste ainsi difficile.

Quelles sont les problématiques qui freinent l'adoption ?

La problématique est double. Déjà, quand on parle de la 5G, on parle beaucoup de technique, et peu des services qu'elle peut rendre. Ce qui freine son adoption car les clients ne perçoivent pas son apport. Et deuxième problème, l'interopérabilité entre le réseau 5G et les systèmes d'information des entreprises reste très complexe. Cela demande un certain niveau d'expertise. Il faut faire appel à un écosystème d'intégrateurs pour la gestion de projet, le pilotage et le paramétrage du réseau, ce qui n'est pas simple du tout. Cela a abouti cette année à une prise de conscience des équipementiers, qui sont en train de revoir leur stratégie pour que les équipements soient plus ouverts. C'est ce qu'on appelle l'open RAN. Cela permet de prendre une partie des solutions d'un équipementier radio ou cœur de réseau, par exemple et de l'associer à une autre solution. C'était une demande des clients pour obtenir une flexibilité économique et technologique, et donc un ROI.

Comment faire pour démocratiser la 5G privée ?

Il faut favoriser davantage le test & learn. Free Pro a donc construit des offres 5G à la demande pour activer facilement un réseau sur un site. C'est dans l'ADN de Free d'apporter la technologie à tout le monde, à un tarif maîtrisé. Et ce n'est qu'en testant que les clients pourront imaginer les usages qui répondront à leurs besoins. Beaucoup oublient que la 5G permet une flexibilité incroyable de la gestion des informations, des consommations, des activations du réseau, des objets qui peuvent se connecter, etc. Tout est géré en cloud natif, donc on peut obtenir des résultats en maintenance et en qualité de service dont on était incapable avec la 4G. C'est pour ça que la 5G sera vraiment le réseau des professionnels et nous sommes en train de développer à leur attention des outils de management de réseaux simplifiés.

Comment travaillez-vous sur les différents réseaux 5G, comme la 5G RedCap ?

Contrairement à ce qui a été fait sur le marché jusqu'à présent, notre message est de dire qu'il ne faut qu'un seul réseau. Free Pro travaille sur de nouvelles solutions, à venir en fin d'année, car nous ne voulons pas dissocier les deux univers public/privé et Outdoor/Indoor. Les particuliers utilisent tous leur propre smartphone pour débloquer une clé d'hôtel ou une voiture de location. Ces usages nécessitent de basculer sans couture et de façon transparente d'un réseau public à un réseau privé et de l'outdoor à l'indoor. Il faut bien travailler l'infrastructure pour qu'elle puisse porter le réseau public et des réseaux privés indoor et ne pas avoir plusieurs réseaux différents. Par ailleurs, la 5G RedCap va remplacer à mon sens les réseaux IoT Sigfox et LoRaWAN car, une fois un réseau privé installé, la question d'entretenir deux réseaux se posera. Nous militons pour un seul réseau unifié sur lequel tous les usages pourront être déployés.

Comment évolue le réseau privé d'Alcatel Submarine Networks, la plus grande usine d'Europe équipée et que vous supervisez ?

Le site industriel est en production depuis pratiquement trois ans et nous avons beaucoup de retours d'expérience de ce réseau privé, qui est fonctionnel, opérationnel, et sur lequel on est à la troisième évolution avec de plus en plus de cas d'usages. Tous les capteurs y ont été connectés, le centre de documentation a été digitalisé pour le transfert d'informations. Nous y avons testé la production assistée, le monitoring et l'assistance à distance par lunettes connectées entre les sites de Calais et de Greenwich. Notre sujet actuel porte sur la géolocalisation, qui n'est pas simple sur un réseau privé. Nous avons dû procéder à l'extension de la couverture en outdoor (il faut une antenne pour couvrir 1 000 mètres carrés). Notre client est absolument parfait, puisqu'il nous autorise à faire des tours avec des clients pour montrer la réalité de la 5G privée, qui permet à Alcatel Submarine Networks une vraie agilité, une vraie digitalisation d'entreprise et des gains de productivité de plusieurs pourcents par an. La prochaine étape est l'automatisation des tâches par l'IA et rendre les machines intelligentes par du TinyML.

Comment voyez-vous ce rôle de l'IA ?

Nous travaillons beaucoup sur l'IA dans le groupe depuis deux ans. Nous comptons sur la technologie pour nous assister dans les déploiements et les paramétrages en fonction du lieu ou des matériaux utilisés. Nous menons deux projets sur la 5G et l'IA dans le cadre du quatrième plan d'investissement d'avenir, France 2030 : on a, avec notre partenaire Scaleway, des clusters GPU, eux-mêmes accessibles en 5G et connectés à des services ou à des machines pour rendre de l'autonomie ou de la productivité plus efficiente. Dernier projet en date : un hackathon réunissant une quarantaine de hackers européens pour développer des projets basés sur l'IA liés au service client. Les deux solutions technologiques IA et 5G vont de pair, nous ne les dissocions pas dans notre approche. Et c'est là où nous on pense qu'on va réussir à pénétrer le marché.

Et qu'en est-il de la sécurité ?

Toutes les entreprises sont confrontées au problème de la cybersécurité. Elles savent que déployer des offres Wi-Fi représentent un risque, non pas à cause de la technologie mais par son usage. Les utilisateurs partagent le mot de passe. Ceci n'est pas possible avec la 5G, c'est la carte SIM qui définit les droits. Le réseau apporte ainsi des solutions de sécurité et de mobilité qui n'ont rien à voir avec les précédentes. Les besoins de digitalisation et de cybersécurité font donc que les clients s'intéressent de plus en plus à la 5G.

Quelles sont vos priorités ?

A nos yeux, la 5G n'est pas réservée au monde de l'industrie pour l'automatisation et le pilotage de robots. Nous anticipons un gros besoin dans les hôpitaux, entre autre, où un réseau privé/public est très important : à la fois pour faire face aux problèmes de sécurité, mais aussi pour suivre les constantes vitales d'un patient tout en libérant un lit, par exemple. Cela nécessite des bracelets connectés en 5G de manière hybride pour en garantir le fonctionnement à l'hôpital et à domicile. En conclusion, la priorité pour nous est de présenter la 5G privée comme une solution haute performance de transport de données : elle représente le dernier kilomètre de la donnée, entre le cloud et les métiers. Elle doit donc garantir que la donnée ne se perde pas, qu'elle ne soit pas volée, qu'elle soit disponible uniquement à l'endroit où on l'attend.

Patrick Escande est un pionnier de l'Internet français, avec la création de sociétés de conseil en innovation et stratégie digitale. Spécialiste de la transformation digitale, il gère aujourd'hui le Lab Free Pro, notamment les projets liés à la 5G privée, à l'edge computing et à l'IA.