L'interopérabilité des jumeaux numériques, le grand chantier de l'IGN pour simuler des phénomènes en France
L'Institut national de l'information géographique et forestière veut contribuer à poser les briques technologiques pour rendre les projets territoriaux de jumeaux numériques compatibles afin qu'ils s'enrichissent les uns et les autres.
Dans les territoires, les projets de jumeaux numériques se multiplient. Le port de Bordeaux, par exemple, collabore avec Google Cloud pour développer des jumeaux numériques de la Gironde à des fins de simulations environnementales adaptées à l'écosystème du fleuve. De son côté, la métropole de Lille a créé une maquette numérique de son territoire pour nourrir les décisions autour de ses politiques publiques, notamment sur l'artificialisation des sols. "Les jumeaux numériques sont la clé pour pouvoir prendre des décisions sur des sujets transdisciplinaires", assure Rémi Montorio, responsable du jumeau de la métropole européenne de Lille. Mais pour que ces outils numériques apportent une valeur ajoutée, il faut qu'ils puissent s'enrichir les uns et les autres, impossible sans interopérabilité. L'IGN en fait donc son chantier prioritaire, avec l'objectif de pouvoir, en agrégant divers jumeaux numériques, disposer du jumeau numérique de la France.
Pour y parvenir, la première chose à faire, d'après Bénédicte Bucher, chercheuse à l'IGN, est de définir précisément la technologie et faire émerger des standards européens. "Beaucoup considère les jumeaux numériques comme des représentations 3D, alors que la technologie ne se limite pas à cela, elle consiste en des simulations de scénarios pour prédire des phénomènes. Il faut que chacun ait la même définition et les mêmes procédés pour favoriser l'interopérabilité", souligne-t-elle. Bénédicte Bucher participe ainsi à des travaux de standardisation à l'échelle européenne. Ce qui représente d'ailleurs une attente des acteurs privés, comme Thalès Alenia Space.
Compléter les métadonnées
Au niveau technique, pour assurer l'interopérabilité des jumeaux numériques, Bénédicte Bucher encourage les acteurs à travailler sur les métadonnées. "C'est par les informations contenues dans les métadonnées que l'on peut trouver les data dans un portail de données, savoir si elles seront pertinentes pour un jumeau numérique et déterminer comment faire des passerelles pour récupérer les jeux de données", explique la chercheuse à l'IGN, citant l'exemple d'un chercheur souhaitant réaliser le jumeau numérique du fonctionnement des moulins aux Pays-Bas, sans jamais avoir pu trouver les données adéquate. "L'une des bases de données trouvées ne pouvait être téléchargées, une autre n'avait pas de source", rapporte Bénédicte Bucher. Ce travail sur les métadonnées permettrait ainsi de fiabiliser la donnée.
"Aujourd'hui les métadonnées sont produites de manière éclatée, ce qui empêche de les valoriser"
Autre exemple dans une cartographie territoriale, dans laquelle Bénédicte Bucher a repéré des imprécisions. C'est en analysant les métadonnées qu'elle a pu se rendre compte que les manques d'information étaient dû à des nuages lors de la prise de vue satellitaire. "Si les métadonnées étaient consolidées, on pourrait être au courant dès le départ de ces anomalies. Aujourd'hui les métadonnées sont produites de manière éclatée, ce qui empêche de les valoriser", estime-t-elle. D'autant que, pour le directeur de la stratégie de l'IGN, Claude Penicand, la mise à disposition de l'information et de son contexte, via les métadonnées, évite la création de projets doublons.
Un ChatGPT de la donnée
Une des pistes de réflexion proposées par Bénédicte Bucher serait la création, dans une interface open data, d'un assistant virtuel basé sur de l'intelligence artificielle, comme ChatGTP, pour effectuer des recherches de bases de données. "Sur Internet, on trouve parfois des cartographies sur un sujet, sans savoir quel est le jeu de données derrière, regrette-t-elle. Il faudrait un ChatGPT spécialisé dans les knowledge graph et appliqué aux métadonnées pour mieux gérer les sources d'information. On pourrait par exemple lui demander de trouver les sources de données disponibles en ligne pour suivre l'évolution de la population d'un quartier sur vingt ans."
"L'intégration reste complexe, elle demande des compétences précises"
"Le jumeau numérique est un excellent cadre applicatif pour l'intelligence artificielle", confirme Claude Penicand. De son côté, l'éditeur français de jumeaux numériques Stereograph s'est engagé en interne dans cette évolution et a lancé en mars dernier un moteur de recherche doté d'intelligence artificielle générative – c'est-à-dire l'outil d'OpenAI – pour connaître, dans un projet immobilier, le nombre de portes ou de magasins dans l'espace. "Notre moteur n'est pas connecté à Internet pour en garantir la sécurité. La prochaine évolution sera l'intégration de documents d'expertise, liés au bail, à l'assurance ou à la maintenance", dévoile Manuel Gomez, son PDG.
L'interopérabilité des jumeaux numériques passe également par la publication de référentiels d'intégration. "L'intégration reste complexe, elle demande des compétences précises que certains porteurs de projet n'ont pas. C'est un travail d'ingénierie de la donnée et aujourd'hui, beaucoup de temps est perdu en tentative", rappelle Bénédicte Bucher. L'IGN se fixe ainsi pour objectif de bâtir des briques technologiques accessibles à l'ensemble des acteurs. "Nous voulons jouer un rôle de facilitateur", assure Claude Penicand. Les jumeaux numériques pourront ainsi éclore de toutes parts.