Pourquoi la guerre commerciale de Trump risque de freiner l'IA américaine
Lors de la campagne présidentielle, Donald Trump a reçu le soutien d'une partie de l'industrie américaine des nouvelles technologies, lassée par les régulations jugées excessives de l'ère Biden et séduite par un président perçu comme plus "business friendly". Sur l'IA, notamment, Donald Trump, largement soutenu par Elon Musk, lui-même champion d'une IA dérégulée à travers son chatbot Grok, a promis aux entrepreneurs la liberté d'innover sans la moindre intervention du gouvernement.
Dès sa prise de pouvoir, Donald Trump a donné des gages à ces nouveaux soutiens, nommant des personnalités issues de l'industrie de l'IA à des postes clef et expédiant aux oubliettes un décret signé par Joe Biden pour encadrer le développement de cette technologie. Cependant, un autre aspect de la politique de la Maison-Blanche constitue une menace pour l'industrie américaine de l'IA : les droits de douane sans précédent mis en œuvre contre la plupart des pays du monde. "L'incertitude économique induite par les tarifs douaniers de Trump pourrait devenir le principal obstacle à la suprématie américaine sur l'IA", vont jusqu'à écrire les experts de SemiAnalysis, consultant spécialisé dans les semi-conducteurs, dans un récent rapport.
Des frais accrus pour les acteurs américains de l'IA
Certes, les semi-conducteurs, indispensables à l'entraînement des modèles d'IA, sont pour l'heure, au même titre que les smartphones et les ordinateurs, exclus des tarifs dits "réciproques" que le président américain a annoncés lors du "Jour de la Libération". Mais d'une part, ce répit n'est que temporaire : Donald Trump a répété à plusieurs reprises sa volonté de relocaliser l'industrie des semi-conducteurs aux Etats-Unis, et de s'appuyer sur les droits de douane pour arriver à ses fins. Le 13 avril dernier, deux jours à peine après avoir annoncé que les semi-conducteurs seraient épargnés par la vague de tarifs douaniers, le président a ainsi annoncé la mise en place de droits de douane sur les puces informatiques "au cours des prochaines semaines".
D'autre part, la chaîne de valeur de l'IA ne se réduit pas aux semi-conducteurs. Les produits finis contenant ces derniers, par exemple, seront bel et bien affectés par les droits de douane. Cela inclut les serveurs informatiques. Qu'ils soient fabriqués et vendus par des entreprises chinoises (Inspur, Lenovo ou encore Huawei) ou par des sociétés américaines comme Dell, Hewlett Packard ou IBM, ils sont pour une bonne partie produits en Chine, bien que les entreprises américaines aient commencé à relocaliser une partie de leur production vers le Vietnam, le Mexique ou directement aux Etats-Unis depuis quelques années. Or, tous les produits importés de Chine font actuellement face à des droits de douane de 145%...
Ce n'est pas tout : les diverses pièces et accessoires (carte mère, modules mémoires, circuit imprimés, châssis, câbles, connecteurs, etc.) nécessaires à la conception d'une puce d'IA de pointe, comme les GPUs de Nvidia, sont, eux aussi, massivement importés d'Asie. Comme le note le rapport de SemiAnalysis, "cette catégorie reflète une forte dépendance à l'Asie. Taïwan domine, mais la Chine est également un acteur de premier plan." Même dans l'hypothèse où les semi-conducteurs seraient épargnés, les droits de douane actuellement en place vont donc fortement renchérir le coût des dépenses mises en œuvre par les géants de la tech américain pour continuer à progresser dans l'IA.
Ainsi, l'étude de SemiAnalysis estime que la construction d'un centre de données aux Etats-Unis pourrait coûter de 5 à 10% plus cher, une hausse qui peut paraître raisonnable, mais qui, sur des projets chiffrant en milliard de dollars, peut rapidement poser problème. Les coûts de fabrication des wafers devraient pour leur part augmenter de 15% dans les usines de semi-conducteurs basées aux Etats-Unis. Ainsi, de manière ironique, SemiAnalysis prévoit que les droits de douane vont faire baisser la compétitivité des semi-conducteurs produits sur le sol américain face à ceux issus de Taïwan : "Si l'on suppose que la hausse des coûts sera reportée sur les clients, et même après la prise en compte des droits de douane de 32% sur les puces produites à Taïwan, les semi-conducteurs produits aux Etats-Unis resteront beaucoup plus chers que leurs homologues taïwanais."
Une incertitude économique nuisible
Toutefois, les big tech américains, qui disposent d'une trésorerie conséquente, devraient être capables de prendre en charge ce surcoût : s'il diminuera leurs marges, il est peu probable qu'il ralentisse suffisamment leurs progrès dans l'IA pour les rendre vulnérables à la concurrence chinoise. Davantage que la hausse des coûts, c'est l'incertitude générée par la politique douanière chaotique qui pose un vrai risque pour les ténors américains de l'IA. Cette technologie requiert en effet des investissements très coûteux qui ne seront rentables qu'à moyen ou long terme. Pour investir en toute confiance, les entreprises ont donc besoin d'une certaine stabilité et de visibilité en matière de normes et régulations. Autant d'éléments qui ont déserté le paysage américain avec les multiples revirements et autres décisions imprédictibles de la nouvelle administration.
"Les laboratoires à la pointe de l'IA doivent réaliser des dizaines de milliards de dollars d'investissements en capital pour améliorer la qualité de leurs produits et systèmes au rythme nécessaire. Or, l'incertitude économique conduit souvent à temporiser, temporisation qui débouche elle-même sur une baisse des investissements", note SemiAnalysis.
Si les géants de la tech américains prévoient toujours d'investir des sommes record dans l'IA, plusieurs d'entre eux ont ainsi commencé à discrètement réduire la voilure. Amazon et Microsoft ont tous deux gelé certains projets de centres de données. Si l'incertitude en matière de politiques économiques venait à se poursuivre, d'autres pourraient agir de même.
En outre, si Donald Trump a pour l'heure mis en pause nombre de tarifs douaniers pour une durée de 90 jours, une reprise de ceux-ci, assortis de pressions continues sur la Fed ou d'autres sorties hasardeuses de Donald Trump, pourrait plonger l'économie américaine dans la récession, limitant les rentrées d'argent des big tech, donc leur capacité à investir. Sans même aller jusqu'à la récession, certaines sanctions économiques décidées par Trump pourraient avoir le même effet : la récente décision du président d'interdire à Nvidia l'exportation de puces H20 vers l'empire du Milieu va entraîner un manque à gagner pour Nvidia, dont les processeurs graphiques sont nécessaires aux progrès de l'IA générative.