IA générative et Trump, les deux défis existentiels de Microsoft

IA générative et Trump, les deux défis existentiels de Microsoft L'entreprise a réussi un tour de force en s'imposant de nouveau comme un leader de l'innovation. Mais elle doit désormais réussir la monétisation de ses investissements massifs dans OpenAI et bien gérer ses relations avec l'administration Trump.

Avant l'arrivée de Satya Nadella aux manettes, en 2014, Microsoft, bien que très rentable, était considéré par beaucoup comme un dinosaure de l'IT, ayant raté plusieurs révolutions, en particulier celle du smartphone, initiée par son grand rival Apple, et dont le modèle économique, centré sur la vente de licences logiciel pour ordinateurs, semblait menacé par l'essor du cloud.

Depuis, le dirigeant de Microsoft a réussi à remettre son entreprise sur les rails de l'innovation. Il a su choisir ses batailles, fermant en 2016 la branche de Microsoft consacrée à la téléphonie, trois ans après le rachat de Nokia qui avait tourné au fiasco pour le géant de l'informatique. Satya Nadella a également opéré une réorganisation massive de ses équipes d'ingénieurs pour donner au cloud la priorité sur le sacro-saint Windows, multipliant les partenariats, rachats et investissements visant à renforcer Azure.

Pari réussi, puisque Microsoft est désormais numéro 2 mondial de l'informatique en nuage, derrière Amazon, et a même raflé de juteux contrats au nez de celle-ci. Microsoft a en outre découvert une poule aux œufs d'or à travers OpenAI, dans laquelle l'entreprise a investi pour la première fois un milliard de dollars en 2019, bien avant la sortie de ChatGPT. Celle-ci a ensuite conduit Microsoft à mettre 11 milliards de dollars supplémentaires sur la table pour favoriser son expansion.

Vers la fin du monopole de Microsoft sur OpenAI

Si Microsoft a eu le nez creux en misant très tôt sur OpenAI et l'IA générative, elle est toutefois encore loin d'avoir remporté la bataille autour de cette technologie de rupture. D'abord, son contrôle d'OpenAI s'est dernièrement érodé, en premier lieu avec le projet Stargate, annoncé par la Maison-Blanche fin janvier. Un programme d'investissement gargantuesque de 500 milliards de dollars dans l'IA, auquel participent OpenAI, le conglomérat japonais Softbank, Oracle et le fonds émirati MGX. Depuis la signature de cet accord, Microsoft n'est plus le fournisseur cloud exclusif d'OpenAI, qui est désormais libre de recourir au multicloud pour satisfaire ses besoins insatiables en puissance informatique. Depuis la levée de fonds record de 40 milliards de dollars réalisée par OpenAI en mars, Microsoft n'est par ailleurs plus l'investisseur majoritaire de l'entreprise, éclipsé par Softbank, qui a participé à la levée de fonds à hauteur de 30 milliards de dollars.

Microsoft ne peut donc plus considérer OpenAI comme un acquis susceptible de garantir sa suprématie sur l'IA générative. "Il est absolument critique que Microsoft devienne autonome sur l'IA à long terme", confiait ainsi récemment Mustafa Suleyman, qui pilote la stratégie IA de Microsoft, à CNBC.

Certes, les deux entreprises demeurent très proches l'une de l'autre : Microsoft conserve l'exclusivité sur les interfaces applicatives d'OpenAI, ce qui lui permet d'intégrer les LLMs les plus avancées d'OpenAI, comme GPT-4,5, dans ses propres produits, dont Copilot. Mais aussi l'accès à la propriété intellectuelle de l'entreprise de Sam Altman, avec à la clef la possibilité d'utiliser les recherches de la start-up pour concevoir ses propres solutions d'IA générative. Les deux entreprises ont également toujours un modèle de partage des revenus en vigueur. Tous les éléments de ce partenariat sont en place au moins jusqu'à 2030.

Rendre l'IA grand public

Aucune raison de paniquer dans l'immédiat, donc, mais il apparaît comme plus que nécessaire pour Microsoft de préparer l'avenir en misant sur ses propres solutions d'IA générative de pointe pour conserver son avance dans ce domaine. Pour l'heure, l'entreprise semble vouloir temporiser et laisser les leaders de l'IA générative comme OpenAI continuer d'effectuer le coûteux travail de recherche (qui n'est désormais plus financé principalement par Microsoft…), puis de construire des modèles basés sur ces découvertes, et capables de répondre à des besoins business précis. C'est du moins la stratégie que Mustafa Suleyman a déroulée dans son interview accordée à CNBC.

Une stratégie intelligente, puisqu'elle mise sur les points forts de Microsoft : plutôt que de s'épuiser à sortir son propre modèle de fondation pour rivaliser avec OpenAI, Anthropic et Google, Microsoft se contenterait ainsi de faire ce qu'elle a toujours très bien su faire, à savoir sortir des produits qui répondent aux besoins des entreprises, les marketer et les vendre efficacement, répondant ainsi à l'impératif de monétisation de l'IA générative, pour l'heure quelque peu décevant.

Le géant de l'informatique développe ainsi, sous le nom de code Phi, une série de petits modèles de langage spécialisés, qui pourront être utilisés par l'informatique en périphérie et sur des ordinateurs, et à partir d'un seul GPU, les rendant beaucoup plus économes à l'usage. L'objectif : faire de l'IA une commodité utilisable par tous, et ainsi s'assurer une place prépondérante dans le changement de plateforme qu'augure cette technologie. Microsoft n'est bien sûr pas le seul à explorer cet horizon : Amazon et Alibaba, entre autres, travaillent également cette piste. Mais Microsoft a l'avantage de pouvoir s'appuyer sur OpenAI.

Gérer l'administration Trump

Si à moyen et long terme, Microsoft se doit de penser sa stratégie autour de l'IA, à plus court terme, elle doit composer avec une autre difficulté : Donald Trump, qui a toujours entretenu des relations conflictuelles avec le monde de la tech et semble vouloir adopter une approche de la lutte contre les monopoles dans la droite ligne de celle de son prédécesseur. Trump est aussi parti en croisade contre la DEI (Diversité, Equité et Inclusion), les politiques mises en œuvre par les grandes entreprises pour accorder davantage de place aux minorités et répondre aux demandes de la gauche américaine suite aux mouvements sociaux géants consécutifs à la mort de George Floyd à l'été 2020.

Là aussi, Microsoft peut capitaliser sur ses forces : première grande entreprise de la tech à avoir subi un procès antimonopole à la fin des années 1990, durant lequel elle avait échappé de peu au démantèlement, elle est depuis devenue un as du lobbying sobre, mais efficace. Durant le premier mandat de Donald Trump, contrairement à Jeff Bezos et Mark Zuckerberg (qui redoublent désormais d'efforts pour redorer leur blason auprès du président), Satya Nadella a pris soin de ne pas se faire un ennemi du président, sans pour autant éviter de s'afficher trop ouvertement avec lui afin de ne pas froisser le public progressiste américain et ses propres employés, très majoritairement démocrates.

Une stratégie poursuivie depuis le début du second mandat de Trump, le dirigeant de Microsoft ayant rendu de discrètes visites à Mar-a-Lago et donné un million de dollars pour la cérémonie d'inauguration du président. Mais il ne s'est pas rendu à la cérémonie, optant plutôt pour Davos. Dans le même temps, là où des entreprises comme Amazon, Meta et Google ont taillé dans leur politique de DEI, voire supprimé celle-ci, Microsoft a réaffirmé son engagement dans ce sens en janvier à travers la voix de sa chief diversity officer, Lindsay-Rae McIntyre, qui a affirmé que la diversité permettait à l'entreprise de proposer de meilleurs produits au public. Pour autant, l'entreprise a aussi pris des mesures symboliques susceptibles de plaire à l'administration Trump, comme le licenciement immédiat de deux salariés qui ont interrompu un événement organisé pour les 50 ans de l'entreprise avec des slogans pro-palestiniens.

Alors que l'administration Trump doit prochainement établir des règles restreignant potentiellement l'installation de centres de données par les géants du cloud américains dans certains pays hostiles et apporter son propre cadre de régulation pour l'IA, Microsoft a tout intérêt à ne pas se faire trop d'ennemis à la Maison Blanche, tout en marchant sur des œufs pour éviter de trop s'afficher avec Trump et d'en faire les frais auprès du public, comme Elon Musk en a récemment fait l'expérience. Son dirigeant semble heureusement passé maître dans cette approche.