Clouds quantiques : OVH et Atos face aux géants américains
L'informatique quantique reste une promesse qui ne se concrétisera au mieux que dans une dizaine d'années. En attendant la sortie effective des premiers ordinateurs quantiques commerciaux, les entreprises peuvent d'ores et déjà se frotter à cette technologie disruptive. IBM et les trois hyperscalers américains proposent des offres de Quantum Computing as a Service (QCaaS). En France, c'est aussi le cas d'OVHCloud en partenariat avec Atos. Basées sur la simulation ou l'émulation d'infrastructure de calcul quantique, ces solutions permettent à des développeurs de se familiariser dès aujourd'hui à l'écriture des futures applications. "Ces services cloud servent avant tout à apprendre à coder et à tester des algorithmes et non à mettre des projets en production", précise Olivier Ezratty, consultant spécialisé dans les technologies quantiques et auteur de l'ebook Understanding Quantum Technologies, mis à jour annuellement. "Les entreprises mettent ainsi un pied dans le quantique et dégrossissent le sujet. Du côté des fournisseurs, il s'agit d'occuper le terrain et de prendre date."
IBM Quantum | Amazon Braket | Azure Quantum | Google Quantum AI | Atos et OVHCloud | |
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Année de lancement | 2016 | 2019 | 2019 | 2018 | 2022 |
Ordinateurs quantiques | Plus de 20 machines quantiques en propre | IonQ, Rigetti, D-Wave... | IonQ, QCI, Rigetti, Quantinuum... | Ordinateur quantique en propre | Ordinateur quantique en propre |
Puissance (nombre de Qubits) | De 5 à 127 | De 12 à 50 | NC | Jusqu'à 54 | Jusqu'à 38 |
Environnement d'exécution | Qiskit | SDK Amazon Braket, blocs-notes Jupyter, Pennylane | Quantum Development Kit (QDK), Cirq, Qiskit, Q#, bloc-notes Jupyter | Cirq, OpenFermion, TensorFlow Quantum | Bloc-notes Jupyter |
Références | ExxonMobil, JPMorgan Chase, Samsung, Boeing, Sony, Capgemini… | Fidelity, l'Institut national italien de physique nucléaire (INFN), Pasqal… | NASA, OTI Lumionics, Willis Towers Watson… | NC | NC |
Tarifs | Au forfait ou paiement à l'utilisation. A partir de 1,60 dollar par seconde d'exécution. | A partir de 0,30 dollar par tâche et 0,00019 dollar par coût d'exécution (D-Wave Advantage) | 500 dollars de crédit gratuit par fournisseur. Abonnement mensuel ou paiement à l'usage. A partir de 0,00003 dollar, l'exécution de porte à 1 qubit (IonQ Harmony) | NC | NC |
IBM a ouvert le marché en proposant, dès 2016, un service d'ordinateur quantique dans le cloud. Big Blue s'appuie sur ses propres machines affichant des puissances de 15 à 127 qubits. Pour rappel, le qubit est l'unité de mesure de l'information en informatique quantique. Selon le principe de superposition des états, propre à la physique quantique, ce bit quantique peut représenter de façon simultanée un 0 et un 1. La vitesse de calcul se voit ainsi augmenter de manière exponentielle, la machine étant capable de traiter simultanément plusieurs états à la fois. La mesure de puissance du qubit ? Elle est de 2 à la puissance N (N étant le nombre de qubits dans le processeur). Ainsi, une machine binaire reposant sur une architecture à 6 bits pourrait créer une des 64 (2 à la puissance 6) combinaisons possibles (000000, 000001, 000010...). Le qubit pouvant être une superposition de 1 et 0, peut tendre d'un coup vers 64 états.
"Les qubits ne se valent pas tous. Il faut regarder leur qualité ou le taux d'erreur"
Comme IBM, Google a fait le choix de concevoir ses machines quantiques. A l'inverse, AWS et Microsoft font appel à des constructeurs tiers et brassent une large palette de solutions. "Les technologies sont encore immatures et les machines présentent des performances extrêmement variables", tempère Olivier Ezratty. "Les qubits ne se valent pas tous. Il faut regarder leur qualité ou le taux d'erreur." Pour apprendre à programmer, ces fournisseurs proposent des interfaces visuelles pour créer et tester des circuits. Elles mettent aussi à disposition des développeurs des blocs-notes Jupyter, des bibliothèques logicielles et des outils de scripting en Python, le langage commun à l'IA et au quantique.
Depuis notre précédent comparatif, un acteur français et européen, OVHCloud, a fait son entrée dans le secteur épaulé par Atos. Le provider pourrait être suivi par d'autres représentants nationaux comme les très prometteuses start-up Alice & Bob ou Pasqal, cofondée par le récent prix Nobel de physique Alain Aspect. Ça bouge également du côté de la recherche publique avec le lancement, début 2022, d'une plateforme nationale de calcul quantique, associant l'INRIA, le CEA et le Genci (Grand équipement national de calcul intensif).
IBM Quantum, la prime au pionner
Premier à proposer une offre de quantique "as a service", IBM domine le marché en proposant, depuis son laboratoire de New York, plus de 20 machines quantiques. Baptisée IBM Quantum System One, son offre repose sur les processeurs Falcon 27 Qubits, Hummingbird 65 Qubits et Eagle 127 Qubits. Big Blue n'entend pas s'arrêter en si bon chemin. Dévoilée en mai dernier, sa feuille de route prévoit d'introduire cette année un processeur de 433 qubits, baptisé Osprey, avant de lancer, en 2023, Condor, "le premier processeur quantique universel au monde doté de plus de 1 000 qubits".
Toujours en 2023, IBM proposera une approche sans serveur (serverless) afin de rendre l'expérience de développement quantique toujours plus accessible. En attendant, les développeurs peuvent utiliser le moteur d'exécution Qiskit pour créer des programmes quantiques et les exécuter sur des prototypes d'infrastructures quantiques mis à disposition par IBM dans le cloud. L'adhésion à l'IBM Quantum Network permet de bénéficier du support d'experts de l'informatique quantique. Le géant du numérique compte le Cern, Mitsubishi Chemical ou ExxonMobil parmi ses références.
AWS, la palette de technos la plus étendue
A la différence d'IBM, Amazon Web Services ne dispose pas de machines quantiques en propre. A travers son offre Amazon Braket, le provider fait appel à différents constructeurs. Ce qui lui permet de couvrir les différentes technologies dont le recuit quantique avec D-Wave, les ions piégés avec IonQ ou les processeurs quantiques supraconducteurs d'Oxford Quantum Circuits et de Rigetti. La puce quantique (QPU) de Xanadu donne, elle, accès aux ordinateurs quantiques photoniques.
En surcouche, le développeur peut faire appel à des environnements de conception et d'exécution d'algorithmes quantiques agnostiques à la technologie sous-jacente. A commencer par le SDK d'Amazon Braket. Le service d'AWS prend aussi en charge les blocs-notes Jupyter et le framework logiciel open source PennyLane. Le programme Amazon Quantum Solutions Lab permet d'entrer en contact avec des experts en calcul quantique. La tarification comprend deux composantes : un coût par exécution et des frais par tâche.
Microsoft Azure, l'environnement le plus ouvert
A l'instar d'AWS, Microsoft n'a pas construit de machines quantiques. Le cloud provider recourt aux solutions conçues par des spécialistes reposant sur différentes technologies comme l'ion capturée (IonQ, Quantinuum), les supraconducteurs (QCI, Rigetti), l'atome neutre (Pasqal) ou les algorithmes d'optimisation (1QBit, Microsoft QIO, Toshiba SQBM+).
Baptisée Azure Quantum, son offre se distingue par la richesse de son environnement de développement. Aux côtés de son propre kit de développement, QDK (pour quantum development kit), Microsoft prend en charge les SDK open source Cirq et Qiskit, le langage de programmation quantique Q# et les bloc-notes Jupyter. Pour expérimenter cette offre, Azure accorde 500 dollars de crédit gratuit par fournisseur. Le provider propose des abonnements mensuels ou un paiement à l'usage.
Google, vers la première offre quantique commerciale ?
Google a développé son propre ordinateur quantique baptisé Weber. Reposant sur le processeur quantique de dernière génération Sycamore, il affiche une puissance maximale de 54 qubits. Il est hébergé sur le campus Quantum AI qui a ouvert en 2021 à Santa Barbara, en Californie, où les chercheurs de Google travaillent à la mise au point du premier ordinateur quantique commercial.
Comme pour les charges de travail dans le cloud, Google Quantum AI propose de provisionner des machines virtuelles quantiques ou QVM (pour quantum virtual machine). Pour cela, l'hyperscaler met à disposition plusieurs bibliothèques logicielles. Codée en Python, Cirq permet d'écrire des circuits quantiques puis de les exécuter. OpenFermion sert à compiler et analyser des algorithmes quantiques pour simuler des systèmes quantiques de type fermionique. Enfin, TensorFlow Quantum est dédié à l'apprentissage automatique hybride, à la fois quantique et traditionnel.
Atos et OVHCloud, première offre cloud européenne
Deux acteurs français se sont unis pour proposer la première offre européenne de cloud quantique. Le 9 juin 2022, Atos et OVHcloud, annonçaient, dans un communiqué commun, avoir conclu un partenariat dans le domaine de l'informatique quantique. Objectif : mettre à disposition l'émulateur quantique d'Atos dans le cloud d'OVHcloud via une approche "as a service".
Reposant sur la puissance du serveur SMP du supercalculateur BullSequana X800 d'Atos, la quantum learning machine (QLM) déployée chez OVHcloud, couvrira trois modes de programmation quantique : le modèle à portes, le recuit quantique (quantum annealing) et le modèle analogique. "Les utilisateurs pourront émuler des circuits jusqu'à 38 qubits en double précision et résoudre des problèmes de recuit quantique jusqu'à 5 000 qubits", avancent les deux partenaires. La technologie QLM ouvre, par ailleurs, la voie aux processeurs de première génération NISQ ou noisy intermediate-scale quantum. A savoir des systèmes encore imparfaits, intégrant des erreurs, mais qui peuvent néanmoins réaliser des tâches inaccessibles aux ordinateurs classiques.