Malgré le buzz, OpenAI perd toujours énormément d'argent
La machine à créer du buzz ne s'est pas encore muée en machine à cash. OpenAI devrait perdre la somme abyssale de cinq milliards de dollars cette année, selon une information rapportée par le New York Times et basée sur l'analyse de documents financiers de l'entreprise.
Une perte qui n'est toutefois pas liée à une croissance en berne pour la société dirigée par Sam Altman, bien au contraire. Les recettes mensuelles d'OpenAI ont atteint 300 millions de dollars en août, en hausse de 1 700% par rapport au début de l'année 2023, date du lancement du chatbot ChatGPT. Elle espère réaliser un total de 3,7 milliards de dollars de ventes cette année, dont 2,7 milliards issus des abonnements payants à ChatGPT, et atteindre les 11,6 milliards de chiffre d'affaires l'an prochain, contre 2 milliards en 2023.
Comment OpenAI est devenue une entreprise (presque) comme les autres
Malgré ces performances impressionnantes, les pertes enregistrées par OpenAI illustrent le défi que constitue sa conversion en une entreprise à part entière. Fondée en 2015 à San Francisco par plusieurs personnalités de la tech, dont Sam Altman, Greg Brockman, Ilya Sutskever et Elon Musk, elle est à l'origine une organisation à but non lucratif qui vise à créer une intelligence artificielle (IA) générale sécurisée et susceptible de profiter à toute l'humanité, par opposition aux recherches que mènent par exemple les Gafam.
À partir de 2019, elle abandonne son but non lucratif au profit du statut de "capped for profit", une structure américaine hybride qui limite la possibilité de générer des profits au-delà d'un seuil dépendant du montant des investissements. Microsoft commence à la même époque à investir dans la société, tandis qu'Elon Musk claque la porte, affirmant qu'elle a dévié de son but original en abandonnant l'idée de partager gratuitement sa technologie avec le public pour se tourner vers la quête du profit. OpenAI, en retour, accuse Musk d'avoir voulu fusionner la société avec Tesla pour le bénéfice de cette dernière, volonté qui se serait heurté au refus du reste de la direction. Le milliardaire et OpenAI sont désormais en procès.
Microsoft, de son côté, continue d'investir massivement dans OpenAI, qu'il voit comme une véritable poule aux œufs d'or. Intuition qui semble confirmée par le buzz mondial que génère ChatGPT lors de son lancement fin 2022. Les montants que le géant de Redmond a promis de verser à OpenAI totalisent aujourd'hui 13 milliards de dollars, principalement versés sous la forme de crédits cloud.
En échange de ces sommes considérables, il est prévu que Microsoft mette la main sur la moitié des profits générés par OpenAI jusqu'au remboursement de son investissement. Le géant de l'informatique a aussi obtenu un précieux sésame, à savoir l'exclusivité des modèles d'OpenAI pour Azure, le fournisseur cloud de Microsoft. Il est ainsi le seul à pouvoir proposer ces modèles à ses clients, ce qui représente un atout considérable dans la compétition qui l'oppose à ses rivaux Amazon Web Services et Google Cloud. OpenAI s'apprête désormais à achever définitivement sa mue en entreprise à part entière en abandonnant son statut de "capped for profit".
Pourquoi OpenAI dépense des sommes folles
Transformer le buzz généré par l'IA générative en machine à cash est toutefois plus facile à dire qu'à faire. Depuis la déferlante ChatGPT, la technologie est sur toutes les lèvres et les entreprises dépensent sans compter dans les solutions existantes, espérant générer rapidement de la valeur. Mais malgré le succès, les professionnels de l'IA générative comme OpenAI se heurtent à des coûts extrêmement élevés.
En effet, l'entraînement des grands modèles linguistiques, sur lesquels repose l'IA générative, est fort gourmand en puissance de calcul, ce qui implique des dépenses faramineuses dans le cloud. OpenAI devrait ainsi verser pas moins de 7 milliards de dollars à Microsoft Azure en 2024, et ce malgré les tarifs préférentiels dont l'entreprise de Sam Altman bénéficie auprès de son partenaire. OpenAI doit en outre recourir aux puces dernier cri de Nvidia pour entraîner ses modèles, puces qui se monnaient entre 20 000 et 40 000 dollars pièce et que la société loue à Microsoft. L'entraînement de GPT4 a par exemple nécessité l'usage de 25 000 processeurs A100 de Nvidia.
Une fois les modèles entraînés, viennent ensuite les coûts d'inférence, liés à l'utilisation des modèles pour accomplir des actions concrètes. Une activité également gourmande en puissance informatique, et qui coûte davantage à mesure que les produits de Nvidia comptent plus d'utilisateurs. "L'inférence requiert plusieurs dizaines de GPUs par requête pour les plus gros modèles tels que GPT-4 ", précise Antoine Chkaiban, analyste chez New Street Research, un cabinet d'intelligence de marché. ChatGPT comptant actuellement 350 millions d'utilisateurs actifs par mois, la facture a tendance à rapidement grimper.
Une hémorragie de talents qui laisse Sam Altman seul aux manettes
Les dépenses abyssales de la société de Sam Altman ne l'empêchent en tout cas nullement de continuer à lever des fonds, tant les investisseurs sont optimistes face au potentiel de l'IA générative. Le groupe Softbank vient ainsi d'annoncer un investissement de 500 milliards de dollars dans l'entreprise californienne. Il fait partie d'une levée de fonds de 6,6 milliards de dollars qu'OpenAI a bouclé cette semaine et qui porte sa valeur à 157 milliards de dollars.
Pour convaincre les investisseurs, OpenAI a prévu une hausse des tarifs facturés pour la version payante de ChatGPT, qui compte environ 10 millions d'abonnés dans le monde. De 20 dollars par mois, l'abonnement devrait passer à 22 d'ici la fin de l'année, puis, progressivement, à 44 dollars d'ici cinq ans. La stratégie est risquée, alors que les services concurrents se multiplient, comme Google Gemini, Claude (Anthropic), Llama (Facebook) ou encore Grok, de la société xAI d'Elon Musk. OpenAI mise toutefois sur le fait qu'un million de développeurs utilisent déjà sa technologie et aspire à devenir un standard dont l'écosystème ne pourra plus se passer, quel que soit son coût.
OpenAI doit cependant faire face à une autre difficulté : une hémorragie de talents. Après les cofondateurs Greg Brockman et Ilya Sutskever, qui ont tous deux quitté l'entreprise cette année, ce dernier ayant en outre lancé un service rival baptisé Safe Superintelligence qui a déjà levé un milliard de dollars, c'est désormais Mira Murati, la directrice de la technologie, qui vient de faire ses valises. Bob McGrew et Barret Zoph, deux chercheurs occupant des postes à responsabilité, ont également démissionné dans la foulée. Une vague de départs qui laisse Sam Altman plus isolé, mais aussi plus libre de donner à l'entreprise la direction qu'il souhaite, après le putsch raté mené à l'automne 2023 par une partie des cadres contestant ses décisions.