Numérique et santé mentale : l'heure des choix et des actes
Un an après notre lancement, nous éditons la toute première charte d'engagements dédiée en e-santé mentale et en appelons au renfort du numérique en santé mentale. Voici ses trois piliers fondateurs.
Un an après notre lancement, nous éditons la toute première charte d’engagements dédiée à la e- santé mentale. La société est chaque jour plus en proie aux situations de détresse psychique, dans un contexte d’appauvrissement manifeste de l’offre de soins dite traditionnelle. C’est pourquoi nous en appelons au renfort du numérique en santé mentale. Rédigée avec six professionnels du monde de la santé, du droit, et de la technologie, cette charte rassemble plus de 100 signataires dont plus d’un
tiers d’entreprises du secteur. En voici les trois piliers fondateurs.
1. Construire la "numérico-vigilance" des outils numériques en santé mentale
A l’instar des informations recueillies et analysées sur les médicaments dans le cadre de la pharmacovigilance, il est plus que temps d’instaurer un principe similaire en e-santé mentale, que les solutions soient qualifiées ou non de dispositif médical. Celles-ci ne peuvent en effet faire l’économie de preuves qu’elles ne nuisent pas à la santé de leurs utilisateurs à travers un effet secondaire, ou encore un mésusage.
Aussi, et si possible avec l’appui des autorités de santé comme des pouvoirs publics, les signataires de la charte s’engagent à co-concevoir le cadre d’une surveillance et d’une vigilance tout au long du cycle de développement et de vie de la solution numérique. Ce principe, dit du « primum non nocere » en médecine, est fondamental dans le champ de la santé mentale et doit, selon le Professeur Bruno Falissard, pédopsychiatre et co-auteur de cette charte, guider l'innovation pour créer un cadre de fiabilité, de pertinence et de confiance.
2. Réguler l’IA pour protéger des risques psychologiques
Il y a 60 ans déjà, au MIT, le tout premier agent conversationnel créé était dédié à la psychothérapie. Il y a quelques mois, un même type d’outil conversationnel s’est vu accuser d’avoir poussé un jeune belge au suicide… Pour prévenir de telles dérives, les signataires de la charte se sont engagés à aller plus loin que la réglementation actuelle en faisant leur le principe de “garantie humaine” de l’IA. L’enjeu consiste à maîtriser son évolution sans brider l’innovation. Car à l’heure où les réponses de ChatGPT sont perçues comme étant plus empathiques et plus qualitatives que celles des médecins, la supervision humaine reste cruciale. Et parce que les données en santé mentale sont particulièrement sensibles, cette responsabilité implique leur gestion et leur protection selon les principes de la cybersécurité puisque, s’il existe un RGPD, force est de constater que les acteurs de la e-santé - ne sont pas tous au même niveau de leur mise en conformité, selon l’avocate Aurélie Klein.
3. Garantir la co-conception et le déploiement ÉTHIQUES des solutions de e-santé mentale
Le principe d’innovation en santé mentale ne peut faire l’économie d’une co-conception des solutions impliquant l’ensemble des parties prenantes, utilisateurs et professionnels de santé et du soin en tête. Pour veiller à l'intérêt général et en vertu d’un principe d’inclusivité, les intérêts des utilisateurs doivent être une priorité à chaque étape, de l’idée à la mise en œuvre de la solution. Intégrer le savoir expérientiel en santé mentale, ainsi que les compétences médicales et paramédicales, c’est enfin se garantir des impératifs d’indépendance, d’autonomie des utilisateurs, de non-malfaisance, ainsi que de justice sociale.
Chers au monde de la santé, ces principes sont indispensables à l'adoption, à la prescription, et au déploiement plus massif des solutions de e-santé mentale. Ainsi que le souligne Marie Lourenço, psychologue, la technologie se positionne, qu’on le veuille ou non, à la croisée d’une relation ancestrale entre le médecin et son patient. Elle ne peut donc pas évoluer isolément et doit trouver sa juste place et toute son efficacité.
Les signataires de la tribune :
Aphysia Développement
C2Care
Dygie
Holivia
HypnoVR
Imaba (Pedopsynet)
KLAVA Innovation
Kwit
LISL UP (Massa Trails)
Lumm
mindDay
moka.care
Petit Bambou
Psynergy
Qare
ResilEyes Therapeutics
Stimulus
Tricky
Wetalk
Avec la contribution de :
- Professeur Bruno Falissard, pédopsychiatre, et directeur du centre de recherche Inserm en épidémiologie et santé des populations à Villejuif.
- Arnaud Goulliart, directeur du Pôle Prévention et Promotion de la santé mentale chez Fondation ARHM (Action Recherche Handicap et Santé Mentale).
- David Gruson, cofondateur d’Ethik-IA et membre de la Chaire Santé de Sciences Po.
- Aurélie Klein, avocate spécialisée en droit des données et du numérique, Maître de conférences associé, Université de Strasbourg.
- Marie Lourenço, psychologue et entrepreneure, consultante en santé mentale et digitale, membre du collectif MentalTech.
- Docteur Geoffrey Post, psychiatre et consultant en e-santé, membre du Collectif MentalTech.