En s'en prenant au Chips Act, Trump menace la relocalisation des semi-conducteurs aux Etats-Unis
Lors de son premier discours devant le Congrès le 4 mars dernier, Donald Trump a pris à partie Mike Johnson, le président républicain de la Chambre des représentants, l'incitant à torpiller le Chips Act. Le président américain a qualifié le plan de soutien à la relocalisation de semi-conducteurs aux Etats-Unis "d'horrible", ajoutant qu'il revenait à dépenser des centaines de milliards de dollars en pure perte.
Contrairement à ce qu'affirme Donald Trump, le Chips Act a en réalité enregistré d'importants succès. Ce dernier s'appuie sur des aides publiques distribuées aux entreprises choisissant d'implanter des usines de semi-conducteurs sur le sol américain, principalement sous forme de crédits d'impôt. Plutôt que sur la dépense publique, Donald Trump souhaite miser sur les tarifs douaniers pour inciter les entreprises à relocaliser la production. Il a récemment cité à l'appui de cette stratégie l'exemple de l'entreprise taïwanaise TSMC, qui a annoncé l'investissement de 100 milliards de dollars supplémentaires pour ouvrir de nouvelles usines en Arizona. Cette annonce a eu lieu peu de temps après que Trump a menacé la mise en place de tarifs douaniers sur les puces importées d'Asie du Sud-Est. TSMC continue en effet de réaliser une grande partie de sa production à Taïwan.
L'impact des tarifs douaniers en question
Mais si les subventions du Chips Act ont prouvé leur efficacité pour rapatrier la production aux Etats-Unis, celle des tarifs douaniers est beaucoup moins évidente. Durant son premier mandat, Trump a déjà misé sur les droits de douane pour ramener des emplois industriels sur le sol américain, avec des résultats peu concluants. Pour Mike Demler, expert indépendant spécialisé dans l'industrie des puces, "mettre en place des tarifs douaniers sur les semi-conducteurs n'aura strictement aucun impact sur la relocalisation de la production aux Etats-Unis."
Même concernant l'annonce du nouvel investissement de TSMC aux Etats-Unis, cité par Trump à l'appui de sa nouvelle stratégie, le lien n'est pas aussi clair que l'affirme le président américain. En effet, une enquête du New York Times rapporte que l'entreprise avait déjà acquis les terrains nécessaires pour étendre ses capacités de production aux Etats-Unis, et aurait hâté sa décision après que de gros clients comme Apple et Nvidia se sont engagés à acquérir davantage de puces fabriquées aux Etats-Unis. Ces sociétés cherchent en effet à mettre la main sur le plus grand nombre de semi-conducteurs de pointe possible pour alimenter la course à l'IA.
En outre, la construction d'une usine de semi-conducteurs constitue un projet de grande envergure qui prend des années avant d'être opérationnel. Même à supposer que les tarifs aient l'effet incitatif souhaité par Trump, les entreprises américaines consommatrices de puces devraient donc pendant des années payer plus cher les puces importées d'Asie en attendant de pouvoir acheter américain. Avec des effets délétères, selon Stephen Ezell, vice-president of global innovation policy de l'Information Technology and Innovation Foundation (ITIF), un laboratoire d'idées basé à Washington. "Cela nuirait à la compétitivité d'un large panel d'entreprises. Les puces de Nvidia, qui permettent la révolution de l'IA (conçues aux Etats-Unis, mais fondues par TSMC à Taïwan, ndlr), deviendraient plus coûteuses, de même que les téléphones d'Apple et les voitures fabriquées aux Etats-Unis. En plus de dégrader le pouvoir d'achat des Américains, cela nuirait à la compétitivité de ces entreprises par rapport au reste du monde."
Une loi qui remonte au premier mandat de Trump
Ironiquement, si le Chips Act a été passé par Joe Biden, sa genèse remonte en réalité à la première présidence Trump. En 2020, les élus républicains Michael McCaul et John Cornyn ont en effet proposé une première version de la loi, après avoir été approchés par deux cadres de la première administration Trump, Mike Pompeo, alors secrétaire d'Etat, et Wilbur Ross, secrétaire au Commerce. Ces derniers s'inquiètent alors de la dépendance des Etats-Unis à Taïwan sur les semi-conducteurs, alors que la Chine accentue ses menaces sur l'île. Cette première version a ensuite donné lieu à la loi votée sous la présidence de Joe Biden, selon un processus législatif courant aux Etats-Unis.
Dans un paysage politique très fragmenté, le Chips Act a également bénéficié d'un soutien des deux partis au moment du vote au Congrès. 17 sénateurs et 24 représentants républicains ont voté en faveur de la loi en 2022. Ce soutien se poursuit aujourd'hui. A contrario, certaines lois beaucoup plus clivantes ne recueillent aucun vote de la part de l'opposition. L'été dernier, alors que Donald Trump exprimait déjà son désamour du Chips Act durant la campagne, plusieurs élus républicains ont écrit à Mike Johnson pour lui demander de protéger cette régulation, arguant qu'elle permettait d'importants investissements et créations d'emploi sur leurs terres. Cornyn et McCaul sont également montés au créneau pour défendre la loi contre les attaques de Trump suite au discours de celui-ci face au Congrès. Plusieurs projets ont bénéficié des fonds du Chips Act au Texas, dont un projet de construction d'une usine par Samsung qui s'est vu attribuer 4,7 milliards de dollars d'argent public.
Vers un Chips Act plus à droite
L'abandon du Chips Act serait une mauvaise nouvelle pour le taïwanais TSMC, dont plusieurs projets américains, principalement en Arizona, ont bénéficié de crédits en vertu de la loi signée par Joe Biden. Mais elle serait surtout dévastatrice pour Intel, la seule entreprise américaine active dans la fabrication de semi-conducteurs de pointe. Déjà en grandes difficultés financières, la société a mis en œuvre plusieurs projets de construction d'usines suite au passage du Chips Act. Un retrait de la législation pourrait précipiter la cession de ses activités de fonderie à TSMC, une option déjà envisagée par la direction d'Intel. Une telle décision priverait définitivement les Etats-Unis de l'opportunité de posséder leur propre champion de la fabrication de puces, et accroîtrait leur dépendance au géant taïwanais.
Etant donnés les soutiens dont dispose la loi au sein du camp républicain, il n'est toutefois pas certain que Trump obtienne son abrogation. Un compromis possible serait une réécriture du Chips Act pour en gommer les aspects susceptibles de déplaire au camp conservateur, comme des mesures insérées par l'administration Biden afin de favoriser les projets dont les ouvriers sont syndiqués ou recourant aux énergies propres. Mike Johnson s'est exprimé dans ce sens suite au discours de Trump au Congrès.