Elon Musk, une arme à double tranchant pour Starlink
Starlink bénéficiait déjà d'une technologie de pointe, au service d'un dispositif d'Internet haut débit fourni par des satellites en orbite basse, sans véritable équivalent dans le monde. Depuis quelques mois, l'entreprise compte une nouvelle corde à son arc : la position stratégique que son patron, Elon Musk, occupe au sein de la nouvelle administration Trump, et les leviers d'influence dont dispose du même coup l'entrepreneur.
Dernier exemple en date : le Vietnam vient d'attribuer à Starlink le tampon nécessaire pour opérer dans le pays, une décision annoncée en même temps que l'abaissement d'une batterie de tarifs douaniers contre les produits américains. Difficile de ne pas y voir une tentative de se concilier les bonnes grâces de l'administration Trump pour éviter d'être la cible de sa guerre commerciale, avec un geste effectué en faveur d'Elon Musk dans l'espoir que celui-ci murmure des mots doux à l'oreille du président.
Contrats en cascade
A l'heure où le gouvernement américain montre ses muscles et cherche à obtenir des concessions de la part des gouvernements étrangers, alliés et ennemis confondus, SpaceX est lancée dans une vaste course pour rendre son service d'Internet par satellite disponible dans le monde entier, ce qui implique de négocier des autorisations auprès de différents gouvernements. Des tractations sont actuellement en cours avec le Bangladesh, la Turquie, le Maroc et l'Inde. A cet égard, Musk a notamment profité de la visite diplomatique de Narendra Modi à Washington plus tôt dans l'année pour évoquer ce dossier avec lui.
Si Starlink bénéficie de la force de frappe de l'administration Trump à l'étranger, l'entreprise en jouit aussi à domicile. A la tête du nouveau DOGE, le Department of Government Efficiency, Elon Musk est chargé de tailler à la hache dans les dépenses publiques afin de réduire les dépenses de l'Etat. Une position dont le milliardaire profiterait pour attribuer davantage de contrats à Starlink. D'anciens employés de la National Oceanic and Atmospheric Administration (Noaa), agence fédérale responsable de l'étude des océans et de l'atmosphère, accusent en effet Elon Musk d'avoir taillé dans le budget et les effectifs de l'administration afin de mettre en place des contrats tissés avec SpaceX. Starlink pourrait également remplacer l'opérateur des télécoms Verizon pour gérer les réseaux de contrôle aérien de la Federal Aviation Administration. L'entreprise fournit par ailleurs depuis mi-mars une connexion Internet à la Maison-Blanche.
Howard Lutnick, le nouveau patron de la FCC, le gendarme des télécoms, nommé par Trump, souhaite enfin attribuer à Starlink un programme de 42 milliards de dollars pour développer la connectivité dans les zones rurales et défavorisées. Starlink étant leader mondial des constellations déployées en orbite basse pour fournir l'Internet par satellite, il est toutefois difficile de déterminer si ces différents contrats sont dus à la seule excellence de sa technologie ou à la proximité d'Elon Musk avec la nouvelle administration.
Les contrecoups de l'effet Musk
Reste que l'association de plus en plus étroite entre Donald Trump et Elon Musk n'a pas que des avantages pour Starlink. La province de l'Ontario, au Canada, a annulé un contrat d'une valeur de 100 millions de dollars attribué à l'entreprise, en représailles des tarifs douaniers de 25% décidés par l'administration Trump sur les produits canadiens.
Les discussions concernant la signature d'un contrat d'une valeur d'1,5 milliard de dollars avec le gouvernement italien sont également au point mort. Dans une interview accordée à un journal italien, le ministre de la Défense, Guido Crosetto, a affirmé que les propos et l'attitude d'Elon Musk conduisaient les autorités italiennes à reconsidérer l'attribution du contrat à Starlink au profit d'un concurrent européen comme le français Eutelsat.
L'Europe peut-elle proposer une alternative à Starlink ?
Les leçons de la guerre ukrainienne conduisent aussi les Européens à repenser la dépendance à Starlink. Depuis le début du conflit, "Starlink est la colonne vertébrale de l'information militaire ukrainienne", affirme Serge Plattard, chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique, un laboratoire d'idées. Une dépendance que Washington aurait exploitée pour obtenir la signature de l'accord sur les minerais avec l'Ukraine, menaçant de couper l'accès à Starlink en cas de refus, selon un rapport. Des allégations toutefois niées par Elon Musk.
L'Europe a-t-elle pour autant les moyens de mettre rapidement sur pied une alternative à Starlink ? "L'Europe dispose d'un équivalent dégradé à Starlink, qui fonctionne très bien. Il s'agit de la constellation OneWeb. Elle n'est toutefois pas aussi performante que Starlink : elle compte un peu plus de 650 appareils en orbite, contre plus de 7 000 pour la société américaine. Si on ajoute le fait que les satellites de nouvelle génération de Starlink vont permettre un débit d'un térabit, ce qui est colossal, et pourront embarquer des caméras pour filmer la terre en temps réel, on est très loin de ce que peut fournir l'Europe pour le moment", affirme Serge Plattard. Le projet de constellation IRIS², conçu pour offrir des communications ultra-sécurisées, n'est quant à lui pas prévu avant 2030 pour son volet dédié aux gouvernements, et plus tard encore pour son aspect commercial.
Outre son avancée technologique, réelle, mais pas irrattrapable, Starlink a également pour elle une puissance de frappe industrielle et une chaîne de valeur intégrée qui fait défaut aux alternatives européennes, selon Serge Plattard. "Starlink dispose d'une usine au Texas, entièrement robotisée, qui sort 15 000 kits de réception Starlink par jour, et va bientôt doubler la mise avec une deuxième usine en Floride. Grâce à SpaceX, l'entreprise peut mettre en orbite de 20 à 53 satellites tous les trois jours, ce qui lui permet de se développer à toute vitesse. C'est la capacité de lancement de SpaceX qui autorise un rythme aussi élevé, sans équivalent aujourd'hui. "
Certes, les déboires actuels de Tesla montrent que même une entreprise qui fonctionne très bien peut souffrir des frasques de son patron. Mais là où un client qui souhaite se détourner de Tesla dispose de nombreuses marques de voitures alternatives, Starlink ne compte pour l'heure pas vraiment de concurrent à sa mesure.