Exclusif : la Commission européenne enquête à son tour sur les pratiques pub de Google
Les partenaires et rivaux du géant de la publicité ont reçu un questionnaire détaillé pour identifier de potentielles pratiques anti-concurrentielles. Ils ont jusqu'au 22 janvier pour répondre.
Début d'année animé pour les avocats de Google ! Alors que le géant de la publicité fait l'objet d'une plainte pour pratiques anti-concurrentielles au Texas et que l'autorité de la concurrence française a ouvert une procédure d'instruction à son encontre pour des faits similaires, c'est, selon nos informations, au tour de l'Union européenne de se pencher sur le cas Google. Editeurs, adtech et agences médias européens ont reçu, quelques jours avant Noël, un document d'une trentaine de pages avec des questions spécifiques pour chacune des typologies d'acteurs. Son intitulé "Google adtech : Google data related practices" ne laisse pas place au doute. Ce sont bien les pratiques du géant de la publicité que l'autorité de la concurrence européenne, la DG Concurrence, a dans son viseur.
Une trentaine de questions très poussées, portant sur les pratiques de Google Ad Manager, Privacy Sandbox et le header bidding
L'Autorité de la concurrence s'est auto-saisie (contrairement à son homologue française qui a agi après une plainte des groupes Newscorp et Rossel). Mais elle a, semble-t-il, été bien briefée par des acteurs du marché. "Elles s'inspirent du questionnaire de l'Autorité de la concurrence en France mais dans une version encore plus poussée", raconte un patron d'adtech française. Alors que Google est présent des deux côtés de la chaîne de valeur, côté vente avec Google Ad Manager, et côté achat avec DV 360 et Google Ads, il s'agit, pour l'autorité européenne, de voir si la firme de Mountain View profite de cette double casquette pour faire du tort à la concurrence.
Les SSP sont, par exemple, interrogés sur leur relation avec les outils d'achat de Google et les préjudices qu'ils peuvent subir par rapport aux outils de vente de Google. La Commission européenne va jusqu'à leur demander leur taux de cookie matching avec les technologies Google. Elle revient également sur le rapprochement entre l'outil d'adserving de Google, Doubleclick for publishers (DFP), et son SSP, Google Adexchange, au sein de Google Ad Manager en 2018. Ce rapprochement s'est-il fait au détriment de la concurrence ?
Les pratiques de Google en matière de header bidding sont également questionnées. Rappelons que l'Etat du Texas a accusé le géant de la publicité d'utiliser son wrapper, Open Bidding, pour détourner la concurrence. Et d'avoir, entre autres, signé un accord avec Facebook courant 2018, stipulant que ce dernier s'engageait à ne pas rentrer en compétition avec Google via la mécanique du header bidding, en échange d'un traitement de faveur de la part de la régie publicitaire de Google. L'existence d'un tel accord, fermement démenti par Google et Facebook, n'est pas évoquée dans l'enquête de la Commission.
Le sujet des cookies tiers est, lui, bien au rendez-vous. Rappelons que Chrome, le navigateur de Google, a annoncé leur disparition à l'horizon 2022. "La Commission s'interroge sur l'impact de cette disparition sur la performance des concurrents de Google", témoigne notre patron d'adtech. Il s'agit de comprendre si, comme l'affirment certains des concurrents du géant de la publicité, cette décision vise à renforcer son hégémonie. De nombreuses adtech sont en effet dépendantes des cookies tiers. Beaucoup plus que Google qui peut, lui, s'appuyer sur de la donnée loguée pour proposer aux annonceurs de diffuser des publicités ciblées.
Deadline : 22 janvier
Les parties prenantes sont donc interrogées sur les conséquences de la disparition des cookies 3d party pour leur business. La DG concurrence demande aux éditeurs de mettre cet événement en perspective avec l'arrivée du programme ITP sur Safari et de lui indiquer laquelle des propositions, entre Sparrow de Criteo, Dovekey de Google Ads ou une autre solution leur semblerait la plus pertinente pour remplacer les cookies tiers. Les acteurs positionnés côté achat doivent, eux, indiquer si cet événement est susceptible d'influencer leur choix de DSP ou d'adserver (en clair de basculer vers Google, si ce n'est pas déjà fait). Privacy Sandbox, la solution que Google propose de rendre open-source pour permettre au marché de continuer à faire du ciblage publicitaire, est également scrutée de près. La DG Concurrence semble se poser les mêmes questions que son homologue anglaise, la CMA, qui vient d'officialiser l'ouverture d'une enquête portant sur la future solution publicitaire.
Les sociétés interrogées par la DG Concurrence ont jusqu'au 22 janvier pour faire parvenir leurs réponses. A l'issue de quoi l'autorité décidera si elle estime que les pratiques anti-concurrentielles sont suffisamment établies et auquel cas communiquera ses griefs à Google. Cette étape, confidentielle en France, se fait de manière publique à l'échelle européenne. Elle donnerait donc lieu à une communication officielle. Un second patron d'adtech française ne se fait toutefois pas beaucoup d'illusions. "Il va falloir attendre plus d'un an avant que les conclusions soient rendues et qu'une éventuelle sanction soit prononcée. Largement le temps pour Google de continuer ses pratiques malveillantes." La DG Concurrence peut, en théorie, prononcer des mesures conservatoires. Mais c'est en pratique compliqué à mettre en œuvre, du fait du contrôle très restrictif des décisions de la Commission européenne par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), comme le relevait l'inspectrice des finances, Anne Perrot, dans son récent rapport sur la publicité digitale.