A coup d'acquisitions, Accenture Interactive veut renverser Publicis, WPP et cie
Le géant du consulting, qui a racheté une trentaine de sociétés depuis 2013, a su construire un ensemble qui combine conseil, création et expertise techno.
Trois ans après son départ de chez JWT pour Accenture, Claude Chaffiotte a encore en tête la réaction de ses collègues, goguenards pour la plupart, lorsqu'il leur annonce la nouvelle. "Beaucoup avaient une image très superficielle d'Accenture, me demandant si j'allais faire du commissariat au compte et porter des costumes gris", se rappelle, plutôt amusé, celui qui est aujourd'hui le patron d'Accenture Interactive pour la France et le Benelux.
On imagine que les anciens collègues ont depuis revu leur jugement. Avec un chiffre d'affaires estimé à 8,5 milliards de dollars pour l'année 2018 et une croissance annuelle de 30% qui doit faire des envieux du côté de Publicis et cie, Accenture Interactive trône désormais en tête du classement Ad Age des plus grands réseaux digitaux au monde. Une prouesse que la société, qui est plus jeune que le premier iPhone, a pu réaliser grâce à une stratégie de croissance externe hyperactive, en témoigne la trentaine de rachats effectués depuis 2013. Des acquisitions dans des domaines clés comme la data, le CRM, l'achat média et la créa, avec comme cerise sur le gâteau, celle de l'agence créative multi-primée Droga 5 en avril dernier.
Créa, digital et data
Ils sont aujourd'hui plusieurs milliers à porter les couleurs d'Accenture Interactive et constituer un réseau atypique qui combine consulting, création et expertise techno. Avec en fil rouge, la volonté de maîtriser le parcours consommateur d'un bout à l'autre parce que c'est, à en croire Claude Chaffiotte, le principal enjeu des entreprises à l'ère du multi-canal. "Aujourd'hui plus que jamais, c'est la qualité de l'expérience utilisateur qui peut faire basculer un consommateur d'une marque à une autre", assène-t-il.
Alors que les cabinets de conseil sont de plus en plus nombreux à s'intéresser au digital, Accenture se démarque des BCG, McKinsey et cie par sa volonté de toucher de plus près à l'opérationnel. "On reproche souvent aux grosses boîtes de conseil d'être trop déconnectées de la mise en œuvre et de proposer des plans d'actions irréalistes mais Accenture a réussi à réunir ces deux univers", analyse Charles Ravanne, consultant indépendant. Claude Chaffiotte ne dit pas autre chose lorsqu'il dit vouloir "construire une passerelle entre l'idéal théorique et la réalité tangible, via le marketing et le contenu". Cet accompagnement "top down", déployé strate par strate, depuis la proposition de valeur de l'entreprise jusqu'à l'expérience client, constitue aujourd'hui un véritable avantage concurrentiel à en croire Charles Ravanne. "Quoi de mieux, alors que le marketing devient de plus en plus techno, qu'un modèle où celui qui utilise la solution est aussi celui qui l'a conseillée et celui qui l'a déployée." Ce ne sont pas les annonceurs, souvent obligés de subir les critiques de leur agence marketing quant aux choix technos effectués par le partenaire conseil, qui diront le contraire.
Ce nouveau positionnement vaut aujourd'hui à Accenture Interactive d'entrer en concurrence frontale avec les grands groupes de communication sur des sujets tels que le digital et la data. Des historiques qui s'accommodent d'autant moins bien des ambitions du nouvel arrivant que celui-ci n'hésite pas à piocher dans leurs effectifs pour constituer ses équipes dirigeantes. Claude Chaffiotte chez WPP donc, mais aussi Nicky Mendoza, ancienne star de chez OMD, pour ne citer que les plus connus. La bataille s'est même déportée sur le terrain de l'achat média, avec le lancement par Accenture Interactive d'une offre dédiée, baptisée Programmatic Services. Ici encore, le groupe veut s'appuyer sur son positionnement 360 degrés pour percer le marché. Le groupe hôtelier Radisson, un des premiers clients de Programmatic Services, est ainsi accompagné par Accenture Interactive sur l'ensemble de sa transformation digitale. "Les agences médias classiques ne s'occupent pas de construire des sites Web ou de gérer des bases de données CRM, note Raphaël Fétique, directeur associé chez Converteo. C'est un vrai avantage pour Accenture Interactive alors que l'achat programmatique carbure aujourd'hui à la data 1st party." Le groupe a selon nos informations déjà accueilli de nombreux clients pour son activité Programmatic Services en France.
L'autre force du modèle Accenture Interactive est, elle, héritée du monde du consulting : l'entreprise n'hésite pas à déployer ses collaborateurs plusieurs mois chez les clients. Un mode de fonctionnement qui permet d'en faire rapidement des interlocuteurs appréciés en interne. "On se fond progressivement dans le décor et on récolte beaucoup plus d'informations qu'à distance", témoigne un ancien d'Accenture. Tout le contraire des agences de communication qui ont rarement le temps et les ressources pour faire mieux que quelques rendez-vous hebdomadaires. Ce qui n'aide pas à instaurer un climat de confiance. "Il y a toujours eu pas mal de suspicion entre l'annonceur et son agence média", estime Christophe Dané, fondateur de Digitall Makers et ancien DG d'Omnicom Media Group.
"Accenture a un niveaux de restitution qui atteint le Comex là où les agences médias doivent le plus souvent se contenter de l'oreille du directeur marketing"
Rien de tel chez Accenture Interactive qui peut, en plus, profiter de l'aura dont bénéficie sa maison-mère auprès des grands groupes du Cac 40. "Accenture a un niveaux de restitution qui atteint le Comex là où les agences médias doivent le plus souvent se contenter de l'oreille du directeur marketing", note Charles Ravanne. Et ça peut vite faire la différence. "Accenture Interactive a remporté un projet d'internalisation d'achat média auquel nous avions candidaté, se souvient un patron d'agence data. La filiale française n'avait encore aucun projet à son actif mais a pu vendre ce qu'elle avait fait à l'étranger. Le client, avec lequel nous avons des bonnes relations, nous a avoué que le tampon Accenture avait fait le reste auprès de son DG."
Il faut dire que le groupe sait capitaliser sur les ressources et les compétences de chacune de ses entités. "Accenture, c'est 477 000 personnes et un seul P&L", rappelle Claude Chaffiotte avant de vanter les mérites d'un système où l'apport de chacun est justement reconnu. "Ça n'a rien à voir avec mes expériences précédentes où je passais mon temps à arbitrer entre les commissions d'apporteurs et quote-parts de chacun", se souvient l'ancien patron de JWT. "Il n'y a pas de guéguerres entre filiales comme on le voit souvent au sein des grands groupes de communication", confirme Raphael Fétique. Les équipes d'Accenture Interactive sont structurées par industrie, avec à leurs têtes des spécialistes qui portent la relation client et sont chargés de promouvoir l'ensemble de l'offre du groupe.
"L'intégration des nouvelles acquisitions se fait en douceur avec pour l'instant peu ou pas de suppression de marque ou rapprochement physique"
L'existence de ce front commun ne signifie pas pour autant qu'Accenture en oublie de promouvoir les particularismes. "Nous avons une culture des cultures, explique Claude Chaffiotte. Le succès de l'intégration d'Altima n'est pas celui de Fjord." Alors que la stratégie d'acquisition des grands groupes de communication s'est souvent heurtée, par le passé, à des problèmes d'acculturation, Accenture Interactive explique avoir à cœur de bichonner ses nouveaux partenaires. "Nous avons une équipe spécialisée dans l'arrimage des entités nouvellement rachetées et organisons fréquemment des journées dédiées au rapprochement", détaille Claude Chaffiotte. "L'intégration des nouvelles acquisitions se fait en douceur avec pour l'instant peu ou pas de suppression de marque ou rapprochement physique, observe Raphaël Fétique. Il y a une vraie volonté de cultiver le potentiel de chaque entreprise absorbée."
Date | Société | Pays | Domaine |
---|---|---|---|
avr-19 | Shackleton | Espagne | Création |
avr-19 | Droga5 | Etats-Unis | Création |
mars-19 | Hjaltelin Stahl | Danemak | Création |
mars-19 | Storm Digital | Pays-Bas | Marketing |
déc-18 | Adaptly | Etats-Unis | Publicité |
déc-18 | New Content | Brésil | Marketing |
nov-18 | Kolle Rebbe | Allemagne | Digital |
nov-18 | Kaplan | Suède | CRM |
avr-18 | HO Communication | Shanghaï | Digital |
mars-18 | MXM | Etats-Unis | Digital |
janv-18 | Mackevision | Allemagne | Design |
févr-18 | Rothco | Irlande | Création |
oct-17 | Altima | France | Digital |
sept-17 | Matter | Etats-Unis | Design |
août-17 | Wire Stone | Etats-Unis | Marketing |
juil-17 | Clearhead | Etats-Unis | Digital |
mai-17 | The Monkeys and Maud | Australie | Création |
juin-17 | Intrepid | Etats-Unis | Design |
mai-17 | Media Hive | Etats-Unis | E-commerce |
avr-17 | Kunstmaan | Belgique | Marketing |
févr-17 | SinnerSchrader | Allemagne | Digital |
nov-16 | Karmarama | Royaume-Uni | Création |
juil-16 | IMJ | Japon | Digital |
août-15 | AD.Dialeto | Brésil | Digital |
juil-15 | Chaotic Moon | Etats-Unis | Digital |
juil-15 | PacificLink Group | Hong-Kong | Digital |
juin-15 | Brightstep | Suède | Digital |
févr-15 | Reactive Media | Nouvelle Zélande et Australie | Digital |
juil-13 | Acquity Group | Etats-Unis | E-commerce |
mai-13 | Fjord | Danemark | Design |
Pas question toutefois d'héberger une cinquantaine de marques chez Accenture Interactive, comme nous l'avoue Claude Chaffiotte. Si Fjord et Droga ne disparaîtront pas de sitôt, la marque Altima, le Français racheté début 2018, s'apprête elle à s'éteindre. Mais tous profitent de l'aura du groupe pour se développer à l'international. "Nous achetons des petites pépites que nous pensons pouvoir faire grandir", explique Claude Chaffiotte. Exemple avec Fjord, la première entité rachetée en 2013 et qui est, depuis, passée de 200 à 1 000 collaborateurs. Altima a quant à lui profité du réseau Accenture pour accélérer son implantation en Chine.
"Le litige avec Hertz prouve simplement qu'Accenture Interactive n'est pas plus que les autres un magicien équipé d'une baguette magique"
Tout n'est pas rose pour autant dans l'univers, en pleine expansion, d'Accenture Interactive. Le litige avec Hertz, qui lui réclame 32 millions de dollars pour la refonte ratée de ses sites Web, est venu rappeler que le groupe pouvait aussi connaître des couacs. "Nous avons notifié à la cour notre intention de déposer une requête de demande de rejet de l'action introduite par Hertz. Nous pensons que ces poursuites sont sans fondement", commente simplement Claude Chaffiotte. Pas de quoi fouetter un chat selon un concurrent que seule l'ampleur du montant a surpris : "On a tous connu des litiges clients de ce genre car c'est toujours très compliqué de réussir à développer une colonne vertébrale qui tient la route dans le cadre d'un projet global. Ça prouve simplement qu'Accenture Interactive n'est, pas plus que nous, un magicien équipé d'une baguette magique." C'est d'ailleurs plutôt l'écho donné à cette affaire qui est étonnant, à en croire un collaborateur d'Accenture Interactive. "Je suis surpris que l'intégralité de la plainte déposée soit sortie dans la presse. Mais c'est bien la preuve qu'on dérange", conclut-il.
Cet article est extrait du dernier numéro d'Adtech News, le supplément mensuel du JDN et de CB News consacré à l'adtech et au martech. Au programme : un papier sur le succès TiktTok, une interview de la FDJ pour parler DCO, le baromètre du programmatique en avril 2019, un focus sur Skylads...