Ivan Zhao (Notion) "D'ici l'été, le centre de données de Notion en Europe sera opérationnel"

Avec 100 millions d'utilisateurs, Notion séduit particuliers, start-up et grandes entreprises. Son CEO revient sur les nouveautés Notion Mail, Marketplace et sur ses ambitions avec l'intégration de l'IA générative.

JDN. Quels sont les principaux usages de la plateforme aujourd'hui ?

Ivan Zhao. En interne, nous appelons Notion le "Lego des logiciels" car vous pouvez utiliser des Lego pour construire n'importe quoi. C'est le même principe avec Notion, où il est possible de personnaliser des workflows en les adaptant simplement à vos besoins professionnels ou personnels. Aujourd'hui, Notion intègre différents blocs d'outils, dont notamment un gestionnaire de documents, un outil de gestion projets et des bases de données. Tout a été conçu pour être utilisé de manière flexible. Nous dénombrons plus de 100 millions d'utilisateurs et employons 800 personnes à travers le monde.

Notion a intégré l'IA générative via l'assistant baptisé "Notion IA". Comment comptez-vous élargir ses capacités ?

Nous avons deux axes principaux. Le premier concerne la recherche. L'IA de Notion se révèle très performante pour synthétiser des informations provenant de diverses sources et fournir des réponses. Actuellement, nous proposons des intégrations avec Slack, Google Drive, GitHub, et Microsoft Teams et bien d'autres sont prévues.  Le deuxième axe est de demander à Notion IA d'effectuer certaines actions. Par exemple, vous pourriez demander : "Analyse tout ce que j'ai fait la semaine dernière et rédige un rapport hebdomadaire à partir de cela." Non seulement Notion AI peut le faire, mais nous voulons aller plus loin en permettant à l'IA, par exemple, de créer des tâches, de les assigner aux bonnes personnes, et de déclencher des workflows reposant sur des bases de données et tâches spécifiques.  C'est l'une des directions que nous développons actuellement. Notre ambition est de rendre Notion IA encore plus polyvalent.

Quel regard portez-vous sur certaines initiatives concurrentes, comme celle d'Apple avec Apple Intelligence, qui permet aussi de poser différentes questions à l'IA ?

Je dirais que la différence réside dans la manière dont Apple Intelligence fonctionne. Si vous avez testé la version bêta, elle sait effectivement beaucoup de choses sur vous. Elle peut synthétiser vos notifications et bien d'autres choses. Cependant, une grande partie des données, notamment celles liées au travail, restent dispersées dans différents outils, comme Notion ou Office. Il est ainsi difficile pour une IA de répondre de manière cohérente à partir d'informations et de contextes qu'elle ne maîtrise pas complètement. Avec Notion, nous avons ici un avantage car la plateforme vous permet, grâce à sa polyvalence, d'organiser toutes vos informations. Ainsi, plutôt que d'utiliser cinq outils différents, vous pouvez tout gérer avec un seul. Cela donne à notre IA un niveau de pertinence supérieur.

Vous avez présenté en octobre 2024 Notion Mail et Notion Forms. Comment ces outils s'alignent-ils avec votre stratégie, et quels sont leurs cas d'utilisation concrets ?

Notion Forms est déjà disponible. Ces formulaires dans Notion permettent de récolter toutes sortes d'informations, par exemple pour centraliser des rapports de bugs, des idées de produits, des feedbacks ou réaliser des sondages, le tout en un seul endroit. L'avantage est que ces données sont intégrées directement dans votre base de données existante dans Notion. Quant à Notion Mail, cette fonctionnalité est actuellement disponible en accès anticipé via une liste d'attente et sera officiellement lancée en 2025.

"Nous avons créé Notion Marketplace pour permettre aux créateurs de monétiser leurs templates directement sur notre plateforme"

Notre constat est que la gestion d'e-mails n'a pas vraiment évolué depuis 20 ans. Gmail, par exemple, offre seulement deux ou trois options pour visualiser sa boîte de réception. Nous voyons donc l'e-mail comme un nouveau terrain d'innovation. En restant fidèle à notre philosophie Lego, nous voulons déconstruire les e-mails en blocs de construction afin de permettre aux utilisateurs de mettre en place des workflows parfaitement adaptés à leurs besoins, que ce soit pour des tâches liées au recrutement, au suivi client ou d'autres usages professionnels.

Beaucoup de petites entreprises utilisent Notion comme CRM. À terme, Notion Mail pourrait-il remplacer des outils comme Mailchimp ou SendGrid en permettant de créer des campagnes emailing directement depuis Notion ?

C'est une excellente question. Un CRM, au fond, n'est qu'une base de données relationnelle intégrant des fonctionnalités d'e-mailing et différentes automatisations. Notion intègre déjà certaines de ces briques. Nous allons continuer de les enrichir pour que Notion Mail, avec les bases de données et les automatisations, puisse progressivement remplir ces fonctions. Aussi, certaines automatisations pourront probablement être mises en place directement dans Notion. Ceux qui souhaitent mettre en place des automatisations plus complexes, auront probablement toujours besoin d'outils tels que Zapier ou Make, pour lesquels nous avons des intégrations par ailleurs.

Vous avez annoncé le lancement de Notion Marketplace, un espace dédié à l'achat et la vente de templates. Doit-on s'attendre à voir des utilisateurs faire de leur activité sur Notion leur activité principale ?

C'est déjà le cas ! L'année dernière, plusieurs créateurs ont gagné plus d'un million de dollars chacun en vendant des templates Notion et autres services associés, dont des formations et autres missions de consulting. Souvent, ils utilisaient des plateformes comme Etsy ou Gumroad, alors même que celles-ci ne sont pas forcément les plus adaptées. C'est précisément pour leur offrir une solution de distribution plus adaptée et sécurisée que nous avons créé Notion Marketplace en intégrant un système de paiement directement dans notre plateforme.

Pensez-vous que cette marketplace pourrait évoluer pour permettre la vente de tout type de produits numériques, comme le permet Gumroad ?

C'est tout à fait possible, tant qu'il s'agit de contenus adaptés aux capacités de Notion, comme des pages, des bases de données, des workflows, etc. Un musicien pourrait par exemple utiliser la marketplace pour vendre ses compositions ou proposer des formations en créant des pages sur Notion. Même chose pour un coach fitness qui aurait une base de followers sur Instagram et souhaiterait vendre des programmes de routine sportive. Pour des projets plus complexes comme, par exemple, la vente de jeux vidéo, ce n'est pas dans nos capacités. En revanche, pour des créateurs de contenu ou des formateurs, Notion Marketplace ouvre de nouvelles opportunités. Nous laissons le soin à la communauté de nous surprendre avec ce qu'elle fera de cet outil.

De plus en plus de grandes entreprises, telles que Pixar ou Amazon, ont adopté Notion. Ce segment est-il important pour vous ?

Absolument. J'étais à Paris en novembre et j'ai justement rencontré plusieurs de nos clients qui sont de grandes entreprises françaises pour mieux comprendre leur utilisation de la plateforme. Notion est un outil précieux pour les petites entreprises et start-up et nous continuons de l'améliorer pour qu'il s'adapte également aux besoins des grandes entreprises comptant des milliers d'employés.

"Nous enregistrons un flux de trésorerie positif depuis plusieurs trimestres"

L'analogie la plus proche est encore une fois celle des Lego : avec les mêmes briques Lego, un enfant de 6 ans peut créer une structure simple, tandis qu'un adolescent de 12 ans peut réaliser une construction complexe. Beaucoup de grandes entreprises ont déjà adopté Notion, notamment Qonto, The Fork et Accor. Aujourd'hui, 80% des entreprises françaises du NEXT40 et 60% des entreprises du Fortune 100 utilisent Notion.

Quels sont vos principaux marchés les plus forts et ceux qui se développent le plus rapidement ?

Notre base d'utilisateurs est composée à 80% de non Américains, et 70% de notre activité est réalisée en dehors des États-Unis. La France figure dans le top cinq de nos marchés les plus importants. J'ai d'ailleurs récemment appris qu'OpenAI et Figma avaient ouvert des bureaux à Paris. Peut-être que ce ne serait pas une mauvaise idée pour Notion. Par ailleurs, nous avons annoncé que nous proposerons à partir de l'an prochain l'hébergement des données au sein de l'UE à nos utilisateurs professionnels. Nous prévoyons une phase de test début 2025, et d'ici l'été, notre centre de données en Europe sera opérationnel, nous permettant d'offrir cette option à nos clients.

N'est-il pas risqué de développer une plateforme couvrant des besoins et des profils d'utilisateurs aussi variés ?

C'est à la fois risqué, et compliqué, mais je pense que nous avons fait du bon travail jusqu'à présent pour maintenir le bon équilibre. Lorsque nous concevons de nouvelles fonctionnalités, nous réfléchissons à la façon dont celles-ci peuvent être utiles à la fois pour nos clients B2B mais aussi pour nos utilisateurs individuels. Par exemple, nous avons récemment intégré les graphiques, qui était l'une des demandes récurrentes des entreprises pour visualiser leurs données et suivre la progression de leurs projets directement dans Notion. Il se trouve que cette fonctionnalité était aussi très demandée par nos utilisateurs individuels qui peuvent utiliser ces graphiques pour suivre leur alimentation ou gérer leurs finances personnelles. 

Pour d'autres fonctionnalités spécifiques aux grandes entreprises, comme la recherche avancée ou la sécurité, nous veillons à ce qu'elles n'apparaissent pas dans l'interface des utilisateurs individuels afin de préserver leur expérience simple et intuitive.

L'entreprise est-elle rentable ? Notion offre un grand nombre de fonctionnalités gratuitement. Prévoyez-vous de réduire l'accès gratuit à certaines dans le futur ?

Nous enregistrons un flux de trésorerie positif depuis plusieurs trimestres maintenant. Nous sommes très efficaces sur le plan opérationnel et avons conservé une équipe réduite. D'ailleurs, nous n'avons même pas touché aux fonds que nous avons levés lors de notre dernier tour de table.  Notre modèle d'affaires fonctionne bien et notre système de conception modulaire nous confère une grande efficacité. En réussissant à développer des fonctionnalités qui sont à la fois utiles pour nos utilisateurs individuels mais aussi pour nos clients entreprises, nous nous montrons efficaces en matière de R&D, ce qui améliore aussi notre rentabilité.

Comme mentionné précédemment, le développement auprès des grandes entreprises est un axe majeur de notre croissance. Ces clients professionnels permettent de financer une partie des fonctionnalités que nous offrons gratuitement ou à faible coût à nos utilisateurs individuels, comme les étudiants.

Ivan Zhao est le cofondateur et PDG de Notion. Il a créé l'entreprise avec ses cofondateurs en 2013, en se concentrant d'abord sur la prise de notes et l'édition de documents. En 2018, il a lancé Notion 2.0, introduisant les bases de données pour répondre à une grande variété de besoins en gestion de projet et en workflows. Avant Notion, il était designer produit au sein de la start-up d'édition éducative Inkling. Il est diplômé en sciences cognitives par University of British Columbia.