Vincent Bouthors (Jalios) "Jalios observe une lame de fond en faveur de la souveraineté face au risque d'ingérence des Américains"
Le CEO et fondateur de la digital workplace revient sur sa stratégie et sa feuille de route pour les semaines et mois à venir.
JDN. Qu'est-ce qui différentie Jalios de la concurrence ?

Vincent Bouthors. Nous sommes le premier éditeur français de digital workplace avec une position souveraine. Sur notre dernier exercice annuel, nous avons enregistré 13 millions d'euros de chiffre d'affaires, avec à la clé une croissance de 28%. Nous nous approchons de la centaine de collaborateurs.
Ce qui nous caractérise avant tout réside dans la richesse fonctionnelle aussi bien que dans l'intégration de composants tiers (Jalios compte quelque 320 connecteurs, ndlr). Pour une même fonctionnalité, nous proposons plusieurs options. Pour la suite bureautique par exemple, nous nous intégrons à celles de Microsoft et de Google comme à celles de Collabora ou d'OnlyOffice. C'est le cas pour une vingtaine de grandes fonctions, comme la visio ou encore les bases de données.
Quel est votre objectif à horizon 2030 ?
Notre ambition est de devenir une entreprise de taille intermédiaire. C'est-à-dire d'atteindre une chiffre d'affaires de 50 millions d'euros en nous hissant à 250 collaborateurs.
Quelles sont les principales tendances que vous observez en France sur le terrain de la digital workplace cette année ?
Au-delà de l'IA générative, nous observons une lame de fond en faveur de la souveraineté face au risque d'ingérence des Américains qui souhaiteraient pouvoir lire à livre ouvert dans nos données. Certains de nos clients souhaitent travailler avec Microsoft 365 avec lequel nous pouvons nous intégrer. Pour ceux qui exigent la souveraineté, nous proposons en parallèle une digital workplace complète et étanche vis-à-vis des offres américaines. L'administration nous sollicite en ce sens, mais c'est aussi le cas du secteur privé. On peut penser qu'à terme les grands comptes souhaiteront équiper leurs cadres supérieurs d'une telle solution. C'est une question de guerre économique. Cette prise de conscience est en train de germer dans la tête des dirigeants.
Vous orientez-vous vers la certification SecnumCloud ?
C'est le cas. Tout comme la norme ISO 27 001 que nous devrions décrocher en 2025. Globalement, nous travaillons en ce sens pour l'ensemble de nos service et l'ensemble de nos entreprises. Notez que nous sommes le premier acteur du marché de la digital workplace à être certifié CSPN (pour certification de sécurité de premier niveau, ndlr). Il s'agit d'une certification de l'Anssi qu'Interstis (avec lequel la Direction interministérielle du numérique souhaite travailler, ndlr) n'a pas décrochée.
"Comparé à Microsoft Copilot, nous pouvons garantir que les documents sources restent hébergés par un acteur français"
Nous sommes également attentifs à la classification des documents. Nous les référençons selon les normes en vigueur : C1, C2 et C3. En fonction du niveau, nous verrouillons certaines fonctionnalités, ce qui peut aller jusqu'au blocage de l'indexation ou de l'édition d'un fichier. Si nous sommes en niveau C2 par exemple, on ne pourra plus co-éditer sur Office, mais seulement sur OnlyOffice. De même, il ne sera plus possible de rendre un document visible depuis l'extérieur.
Quel est votre approche en matière d'IA générative ?
Notre démarche, saluée par le cabinet Lecko, a été de mobiliser nos propres équipes pour intégrer l'IA générative au cœur de notre digital workplace. Ce qui se traduit par exemple par l'apparition d'un bouton dans notre éditeur visuel pour aider à rédiger un texte. Idem dans nos extensions, par exemple dans Outlook, pour aider à la rédaction des mails. Il s'agit d'une intégration profonde qui ne se limite pas aux prompts, mais qui personnalise l'IA générative en fonction du contexte. Nous avons développé de nombreux autres cas d'usage : le sous-titrage de vidéo, la production de résumé, le classement d'informations, etc.
Notre IA permet également de cerner le degré d'obsolescence d'un document en fonction des droits d'accès des collaborateurs sur telle ou telle version d'un même fichier. Du coup, un document ne sera potentiellement pas pris en compte par l'IA de la même façon selon la personne, le service ou l'entité.
Avec quel LLM travaillez-vous ?
Jalios est agnostique en matière de LLM. Nous avons signé des partenariats avec Gladia, Mistral AI, NLP Cloud, OpenAI ou encore Microsoft (autour d'Azure OpenAI, ndlr). D'ici fin septembre, OVHCloud va venir s'ajouter à la liste. Dans la même logique, nous prévoyons de nous rapprocher d'Anthropic et d'Aleph Alpha.
Comparé à Microsoft Copilot, nous pouvons garantir que les documents sources restent hébergés par un acteur français. Ce qui est évidemment central en termes de souveraineté. Dans le même temps, le client pourra opter pour Azure AI qui offre beaucoup plus de protection qu'un OpenAI.
Comparé à Microsoft 365 avec lequel vous vous intégrez, qu'apportez-vous de plus ?
Notre palette fonctionnelle est nettement plus riche. Nous venons de parler des LLM. Mais nous pourrions aussi évoquer le learning, et notamment notre solution de LMS (pour learning management system, ndlr). Elle permet d'assurer la montée en compétence des nouveaux arrivants, mais aussi de maintenir le niveau de connaissance de l'organisation. Ce qui passe notamment par le micro-learning ou le social learning qui assurent le partage de connaissances de manière simple, pratique et efficace.
Autre grande différence, nous offrons plusieurs niveau d'adaptation jusqu'à la possibilité de réaliser des développements spécifiques. On offre aussi des points d'accès très nombreux dans notre API, y compris pour modifier le mécanisme de gestion des droits d'accès.
Quid du no code dans votre offre ?
Nous répondons à ce cas d'usage en permettant la mise œuvre de petits process, que nous avons baptisé les Jalios process. Ils permettent de définir des questionnaires avec des informations à glaner, puis des workflows via lesquels les données recueillies sont ensuite traitées. Nous donnons ainsi la possibilité de créer des micro-applications sans code. Sachant qu'il est possible d'y associer les fonctionnalités de notre digital workplace, telles que les commentaires ou des documents.
Quelle est votre feuille de route en matière de R&D ?
Historiquement, nous sommes très bons pour les clients qui souhaitent réaliser des développements spécifiques autour de notre offre. Nous souhaitons désormais mettre l'accent, aussi, sur une logique de prêt à l'emploi. D'ici la fin du mois de septembre, nous allons faire évoluer notre offre en sens en la concentrant sur trois éléments clés : une offre d'intranet, une application de team work, et une solution de réseau social. Notre plateforme de digital workplace englobant l'ensemble.
Nous allons aussi intégrer de plus en plus des fonctionnalités prêtes à l'emploi qui ont d'abord été développées pour un client donné. Ce sera bientôt le cas du Livret individuel de compétences que nous avons créé pour les pompiers des Alpes Maritimes. Les personnes qui prennent des risques dans leur métier ne peuvent pratiquer leur activité que s'ils ont suivi des cycles de formations très normés. D'où cette idée de Livret individuel de compétences qui permet de vérifier l'ensemble des formations qu'ils ont suivies tout au long de leur carrière. Cette fonctionnalité va être proposée à l'ensemble de nos clients. Nous allons la présenter au prochain Congrès des Pompiers (qui se tiendra du 25 au 28 septembre prochain à Mâcon, ndlr).
Vous n'avez jamais levé de fonds. Est-ce quelque chose que vous pourriez envisager à l'avenir ?
Nous n'y sommes pas hostiles. Mais pour le moment, nous disposons des fonds propres nécessaires pour accélérer notre développement sans faire appel à des acteurs externes. 30% des revenus de Jalios sont actuellement dédiés à la R&D.
Avant de créer Jalios, Vincent Bouthors a d'abord travaillé au sein du centre de recherche et développement de Bull à Sophia Antipolis sur les interfaces Homme Machine, puis a été détaché en 1994 à l'occasion de la création du W3C pour développer des outils de génération de site Web et de recherche documentaire. Il est à l'origine du projet Pharos et a participé à sa conception et à son développement. Il a fondé Jalios avec Olivier Dedieu. Vincent Bouthors est ingénieur diplômé HEI et Docteur en Informatique.