Fayrouze Masmi-Dazi (Dazi Avocats) "La condamnation de Google aux Etats-Unis valide la décision de l'Autorité de la concurrence française"

Pour Me Fayrouze Masmi-Dazi, il est difficile de savoir si l'Union européenne s'alignera sur la même interprétation, en écartant le buy-side.

JDN. Google a été jugé ce jeudi 17 avril pour monopole sur le marché des technologies publicitaires servant les publishers, mais pas vis-à-vis du buy-side. Comment analysez-vous cette décision ?

Me Fayrouze Masmi-Dazi, de Dazi Avocats. © DR

Fayrouze Masmi-Dazi. Cette décision est très importante. Elle confirme d'ailleurs en tous points l'analyse que l'Autorité de la Concurrence (Adlc) française avait déjà délivrée lors de sa décision en 2021 sur exactement le même périmètre : les pratiques monopolistiques de Google ont été suffisamment démontrées du côté du sell-side au point de convaincre la juge américaine, Leonie Brinkema. Des pratiques d'auto-préférence entre le serveur publicitaire (DFP, aujourd'hui GAM, ndlr) et la place de marché Adx ont permis à Google de favoriser ses propres outils tout en dégradant fortement la capacité des autres acteurs à se battre pour les mêmes opportunités d'enchères programmatiques, ce qui a réduit les revenus des éditeurs. Il a été démontré que DFP donnait à Adx des avantages temporels et informationnels lui permettant de gagner les enchères.

Quels remèdes seraient les plus probables dans ce cas ?

Les deux parties ont sept jours pour faire leurs propositions initiales de remèdes puis ensuite il y aura des débats. Les demandes seront sans doute diamétralement opposées avec, du côté de l'accusation, de possibles demandes de cession soit de l'ad server soit de la plateforme de mise en vente (SSP), de l'autre, peut-être rien si Google continue de contester les pratiques surtout s'il fait appel de cette décision. A mi-chemin se trouvera probablement une série de mesures de nature diverse (contractuelles, techniques). Il faudra que la juge tranche et trouve la meilleure solution de son point de vue à l'issue du débat judiciaire contradictoire. Rappelons-nous qu'en France, l'Autorité avait accepté de rendre obligatoires des engagements proposés spontanément par Google notamment des engagements d'interopérabilité. Lorsqu'elle est obligatoire et effective, l'interopérabilité peut s'avérer un remède extrêmement puissant s'il permet à l'ensemble de l'industrie de disposer d'un accès aux systèmes et/ou à toutes les données en temps réel. En France, l'interopérabilité réelle et effective ne semble pas avoir été pleinement mise en œuvre par Google, malgré l'engagement pris.

Quel impact une telle décision peut-elle avoir sur la procédure anti-trust en cours dans l'Union européenne ?

Dans la notification des griefs que la CE avait adressée à Google (le 14 juin 2023, ndlr), on retrouve un grief fondé sur ce qui semble être la même analyse concernant les pratiques d'abus de position dominante sur le sell-side. Mais la CE semblait aller encore plus loin en retenant aussi des griefs sur un possible abus de position dominante exercé vis-à-vis des annonceurs. Il est très difficile de savoir si la CE choisira de s'aligner à la décision de la juge américaine, qui écarte le buy-side, ou si la procédure européenne aboutira à un périmètre plus large de condamnation. La CE peut techniquement et juridiquement aller plus loin, car elle se fonde sur le droit européen de la concurrence pour couvrir les pratiques ayant impacté le fonctionnement du marché européen, ce qui impactera les remèdes à adopter. La CE pourrait également décider d'attendre de connaître la décision sur les remèdes qui devront être mis en place par Google aux Etats-Unis, avant de prendre une décision.

Mais cette procédure sur les remèdes ne risque-t-elle pas encore de traîner vu que Google a déjà indiqué qu'il va faire appel de la décision de ce mercredi 17 avril ?

Le recours de Google sera traité en parallèle et n'empêchera pas les débats sur les remèdes d'avoir lieu. Un premier calendrier de la suite sera connu d'ici une semaine. La juge américaine veut agir vite.