Pourquoi le buy side boude les curated marketplaces ?

Pourquoi le buy side boude les curated marketplaces ? Poussé par de nombreuses SSP mais critiqué par les éditeurs, ce dispositif n'a pas encore gagné la pleine adhésion des agences.

Cela fait des années que les plateformes suply side (SSP) poussent les "curated marketplaces", ces packages d'inventaires pluri-éditeurs que les acheteurs peuvent sélectionner selon différents critères de performance, de ciblage et de qualité. La promesse est de proposer un inventaire performant tout en maintenant un reach puissant à des prix très intéressants. De quoi aussi alléger le travail des agences.

On connait les critiques formulées par les régies à l'égard de la curation. Ces dernières dénoncent les bas niveaux des prix pratiqués pour leurs inventaires et les risques de cannibalisation de leurs opérations en deals (notamment en private auction). Les SSP pour leur part expliquent qu'il s'agit surtout d'un produit permettant de générer des revenus incrémentaux pour les éditeurs tout en facilitant la vie du buy side.

Mais du côté du buy side justement, pourquoi est-ce que la mayonnaise ne prend toujours pas ? Les chiffres le démontrent : si année après année le dispositif se développe en France (+33% en 2023, +23% en 2024 sur le display selon le Baromètre de l'Alliance Digitale), le fait est que les volumes captés restent (très) limités : environ 3,7% des investissements en programmatique en 2024, selon Adomik. C'est loin des 13% obtenus par le programmatique garanti (deals négociés avec prix et volumes garantis) en 2024, des 8% des preferred deals (accords à prix fixe) et des 7,5% des private auctions (open auction sur invitation du publisher).

Pourquoi ce manque de ferveur ? "Les curated marketplaces peinent à s'imposer parce qu'elles introduisent une couche d'intermédiaires qui augmentent les CPM sans toujours garantir un meilleur ROI et offrent une flexibilité moindre par rapport aux deals privés ou aux enchères ouvertes. Faute d'une valeur ajoutée évidente en matière de performance, les acheteurs programmatiques privilégient des solutions éprouvées", explique Ludovic Silva, directeur général chez Kinesso (IPG Mediabrands) et head of performance and biddable media chez Mediabrands. 

Jérémy Fritsch, directeur du digital chez OMD France (OMG), rappelle que la notion même de curation n'est pas une exclusivité des SSP : "La curation dépasse les packages proposés par les SSP : c'est la capacité à filtrer et à sélectionner les inventaires selon plein de critères de qualité, complétion, attention, brand safety, etc. pour en extraire le meilleur. Un travail que l'agence peut faire en direct avec un publisher en programmatique garanti."

Avec un autre point bloquant : ""En curated, la rémunération de l'éditeur est tellement basse (les SSP absorbant une bonne partie des coûts payés par l'annonceur), que l'acheteur risque de perdre plein de bonnes occasions, données en priorité aux deal classiques", ajoute Ludovic Silva.

Dit plus simplement : l'acheteur risque fort de retrouver sur ces curated les fonds de tiroir des éditeurs. Les meilleures occasions sont ailleurs, car elles sont garanties. "Le programmatique garanti est le moyen que nous privilégions pour les grands annonceurs, qui imposent leurs propres conditions d'achat dans le cadre de leurs partenariats avec les marques médias", précise Jérémy Fritsch. Dans de très nombreux cas, ces accords négociés en direct sont une extension de deals globaux intégrant le print. "Le programmatique garanti et les preferred deals offrent la précision dont nous avons besoin pour piloter de tels accords", complète l'expert. Chez OMD France, le mode garanti capte 50% des investissements en programmatique contre moins de 20% pour l'open auction. Les 30% restants sont partagés entre les preferred deals et les curated marketplaces.

Va pour le branding et la qualité. Que dire en revanche des campagnes visant des objectifs à la performance, venant par exemple compléter le search et le social ? Même son de cloche : "A quoi bon payer un intermédiaire, en l'occurrence la curated, si l'agence peut aller chercher la performance sur l'open auction pour ses clients en appliquant ses propres filtres de brand safety, sa propre stratégie d'achat et surtout en bénéficiant d'un reach illimité ?", questionne Ludovic Silva.

Au final, en France le recours aux curated reste marginal. Il sert à chercher du reach incrémental ou est actionné quand la data proposée est vraiment exclusive. Ceci étant, tout n'est pas sombre pour l'avenir de ces offres. "Les curated marketplaces explosent aux Etats-Unis parce que les technologies sont très matures et qu'elles facilitent la vie des acheteurs face à une offre d'inventaires pléthorique et fragmentée. Mais même dans le cadre d'un marché plus petit comme la France, beaucoup moins fragmenté, ces solutions ont encore du potentiel de développement devant elles, si leurs offres continuent d'évoluer avec plus de valeur à injecter dans les inventaires. De plus, il n'est pas exclu que de grands groupes médias passent des deals globaux avec les fournisseurs de ces solutions ce qui pourrait faire bouger les lignes", conclut Jean-François Bernard, cofondateur d'Adomik.