Le tracking publicitaire expliqué à ma fille, volet 1 : sur le web
Dans tes recherches sur le web, tes visites chez tes e-commerçants préférés ou lorsque tu te sers de ton mobile pour trouver ton chemin, échanger avec tes amis, poster, écouter de la musique ou regarder ton émission quotidienne… chaque page ouverte, chaque vidéo cliquée ou produit acheté sont autant d'informations sur toi, sur ta vie et sur tes centres d'intérêt qui sont collectées et traitées. Sans parler des formulaires que tu remplis avec ton prénom, ton nom et ton e-mail, des questionnaires auxquels tu réponds, des newsletters auxquelles tu t'inscris, des sites et applications auxquels tu te logues et des jeux auxquels tu participes. Sais-tu ce que l'on en fait vraiment de toutes ces données ? Dans cet article, le premier d'une série, je vais te l'expliquer en m'intéressant d'abord au web.
Le web, c'est le parent pauvre de l'histoire, beaucoup moins puissant et tentaculaire qu'un Google par exemple. Mais c'est déjà pas mal en matière de suivi publicitaire. Chaque site est équipé d'un certain nombre de prestataires technologiques qui sont là pour collecter tes données de navigation, si tu acceptes le tracking publicitaire en cliquant sur le bouton "accepter" qui s'affiche pratiquement à chaque fois que tu visites un site. Si tu acceptes, ils t'attribuent un "identifiant" (un numéro quoi) puis ils collectent et stockent des informations sur toi : les url des pages que tu consultes et donc souvent même le titre des articles que tu lis, la thématique de la vidéo vue, le produit consulté ou acheté. A chaque fois que tu ouvriras un autre site équipé d'au moins un même prestataire technologique du précédent chacun te "reconnaîtra" (enfin il reconnaitra l'utilisateur 9123454) et saura lire toutes les informations cumulées sur toi. A ce propos, les technologies sont en train d'évoluer, mais au fond le résultat sera le même : te classer selon tes centres d'intérêt.
Ces informations peuvent être croisées avec des données sur le temps que tu y passes et tes interactions avec la page. "Ces informations mises ensemble permettent d'établir un profil de chaque personne. Tous les domaines de la vie privée sont concernés : si c'est une personne mariée, avec des enfants, si ces derniers sont encore à la maison, si c'est une personne de droite ou de gauche, eurosceptique ou européen convaincu, etc. Si on y ajoute la géolocalisation mobile alors là…", illustre Pascal Vautrin, fondateur de DigniLog, défenseur du respect de la vie privée des citoyens en ligne devenu un expert sur le sujet.
Pascal n'a pas tort. La localisation est une donnée hautement stratégique pour les annonceurs et cette collecte est massive qu'il s'agisse du web ou des applications mobiles. En pratique cependant, du moins pour ce qui est du marché publicitaire, ces données ne sont pas analysées individu par individu : elles permettent aux sociétés de leur octroyer des "étiquettes" et de les ranger dans différents segments aux côtés des dizaines voire centaines de milliers d'autres personnes dont le comportement ou les caractéristiques sociodémographiques sont semblables. Aujourd'hui, tu es peut-être être rangée dans "holistic well being enthusiast", "18 to 24" ; demain, dans "design addict" ou "green traveller". Certes, on entend aussi parler des dérives, comme cela a déjà été démontré plusieurs fois, lorsque l'on traite à l'insu de la personne ses données sensibles comme l'orientation sexuelle, l'origine ethnique, la religion ou des problèmes de santé. Cela arrive, mais c'est interdit par la législation en Europe qui ne tolère ce type de traitement qu'exceptionnellement, par exemple si tu la rends publique ou si tu y consens expressément, sachant cependant que l'envoi de pub ciblée sur la base de ces données n'est pas autorisé.
Ce sont les segments qui intéressent les annonceurs, pas toi individuellement. Ces derniers souhaitent que leurs campagnes apportent des résultats immédiats en ayant un sens pour toi, en suscitant ton intérêt et de surcroit ton engagement à les lire, à écouter voire à acheter leur produit. Cela fait bien vingt ans que les annonceurs appliquent cette stratégie de "personnalisation" des campagnes : cela veut dire qu'ils n'envoient pas leur pub à tout le monde mais uniquement aux personnes les plus susceptibles de s'y intéresser. Dès que toi et des milliers d'autres personnes seront exposées à la pub, l'annonceur saura sur quel site et à quelle heure cela s'est passé, des données précieuses pour lui permettre d'analyser l'impact de sa campagne au global. Ce tracking leur permet aussi de limiter le nombre de fois où ils t'afficheront la même pub.
C'est ce qu'explique Alban Peltier, CEO d'Antvoice, une plateforme de diffusion de campagnes publicitaires en ligne : "Je pourrai recibler toutes les personnes qui passent sur le site de mon client annonceur qui démontrent chez lui un intérêt pour la déco et qui m'ont donné leur consentement. Mais à aucun moment je ne pourrai dire à mon client annonceur qui sont précisément les personnes qui ont été reciblées. Je dispose d'identifiants sous forme de chiffres, pas d'identités réelles."
L'annonceur peut aussi "injecter" dans le circuit ses propres données sur ses clients dont hypothétiquement toi : afin généralement soit de cibler des personnes qui ressemblent à leurs meilleurs clients par exemple ou bien exclure du ciblage toutes celles et ceux qui sont déjà ses clients. Cela est possible quand l'annonceur peut croiser ses propres données (d'achat sur son site par exemple) avec celles du site ou du réseau où la campagne est affichée. Cela se fait couramment avec un tiers dit "de confiance", un prestataire technologique. "La clé de réconciliation entre les données des uns et des autres est généralement l'email. Mais ce dernier est haché (transformé en une série de numéros) pour créer un ID et on fait disparaître l'email", assure Aude Perdriel-Vaissière, leader data chez Onepoint.
"Techniquement on sait identifier l'utilisateur. Mais ce dernier n'est qu'un numéro, pas une identité. On sait le retoucher mais on ne sait pas qui est-il, on ne connait pas son identité et on ne remonte bien entendu pas à l'annonceur la liste de tout ce qu'il a fait sur le web", martèle Alban Peltier. "En deux mots l'annonceur connait ton identité mais ne sait pas ce que tu fais sur le web. Tandis que nous, les adtech, nous connaissons ton comportement, mais nous n'avons pas ton identité. En dehors de Google, personne ne peut réconcilier ces deux volets de toi."