Ari Paparo (Marketecture.tv) Procès anti-trust contre Google : "Si le ministère de la Justice américain gagne, ce sera plutôt sur le volet des ad servers "

Pour Ari Paparo, expert en adtech, auteur du Monopoly Report et CEO de Marketecture.tv, le ministère de la Justice a réussi à démontrer la position dominante de Google sur le marché des serveurs publicitaires mais pas sur les ad exchanges ni sur les outils d'achat.

JDN. Vous avez assisté à la dernière journée de plaidoiries ce lundi 25/11 du procès opposant le ministère de la Justice américain à Google pour pratiques anticoncurrentielles sur le marché publicitaire. Quel est votre sentiment ?

Ari Paparo, auteur du Monopoly Report et CEO de Marketecture.tv. © Marketetcture.tv

Ari Paparo. Je pense que les résultats de ce procès seront mitigés. Autant la démonstration de l'accusation concernant la dépendance des éditeurs à l'égard du serveur publicitaire (DFP ou "GAM") de Google est très solide, autant certains autres éléments du dossier sont plus faibles, comme par exemple l'accusation selon laquelle Google fausse la concurrence sur les places de marché publicitaires. Au final, je pense que si le ministère de la Justice américain devait gagner ce procès, ce serait plutôt sur le volet des ad servers. Cela affecterait les remèdes qui seraient adoptés pour mettre fin à cette situation, mais il est trop tôt pour savoir comment.

Les arguments des deux parties ont-ils été modifiés dans cette dernière journée comparés à la première phase des plaidoiries ?

La ligne du ministère de la Justice n'a pratiquement pas changé, mais il a semblé vouloir s'éloigner de l'idée que le réseau AdWords est un monopole exercé du côté buy-side. Ils n'ont pas déployé beaucoup d'efforts pour le prouver, et le juge l'a fait remarquer dans ses conclusions finales. En revanche, ils ont bien tenu à démontrer que la demande provenant d'AdWords est utilisée surtout pour soutenir le monopole exercé par Google auprès du sell-side.

"Le ministère a semblé vouloir s'éloigner de l'idée que le réseau AdWords est un monopole exercé du côté buy-side"

 Quant à Google, il s'est concentré presque entièrement sur des arguments juridiques fondés sur des affaires de la Cour Suprême. Il estime que les précédents juridiques l'empêchent d'être contraint de travailler avec ses concurrents, comme le ministère de la Justice le souhaite.

Quel est le plus solide argument étayé par des preuves et ayant les chances de convaincre la juge de la culpabilité de Google ?

Les procureurs et les témoins appelés à la barre lors de la première phase du procès ont fait valoir avec force que les médias ne pouvaient pas se passer de l'ad server de Google. Ces preuves provenaient de trois grands médias différents qui sont concurrents (Gannet, News Corp et Daily Mail, ndlr). Dans plusieurs cas, les témoins ont donné des indications précises sur les montants en dollars qu'ils estimaient perdre en changeant de serveur, ce qui a renforcé la crédibilité de leurs arguments.

Et concernant l'intention de Google de "tuer la concurrence" comme cela a été évoqué à de multiples reprises y compris vis-à-vis du header bidding ? L'accusation a-t-elle réussi à démontrer ces faits ?

Oui et non. L'essentiel de la force du monopole est d'ordre économique, puisqu'il s'agit de lier la demande de Google (AdWords) à l'offre de Google (AdX). Il existe de nombreuses preuves que Google a cherché à "tuer la concurrence" sur le marché des serveurs publicitaires, l'accusation sur ce point a été solide. Plusieurs concurrents de Google ont témoigné sur le fait qu'ils ne pouvaient pas faire le poids. Sur le marché des ad exchanges et du header bidding en revanche, les données sont plus mitigées. Même si AdX détient plus de 50% des parts de marché, l'un des témoins a déclaré qu'il était "hyper-compétitif".

"Le juge a indiqué que nous aurions ses conclusions avant la fin de l'année"

Concernant le marché du header bidding, de nombreux courriels rassemblés par l'accusation démontraient la volonté de Google de mettre fin au header bidding. Des preuves ont été présentées sur trois stratégies pour le tuer : Open Bidding, Poirot et Unified Pricing Rules. Cependant, à mon avis, Google a fourni des contre-arguments valables pour chacune de ces stratégies, expliquant pourquoi il n'était pas nécessairement opposé au header bidding. Au final, beaucoup de preuves ont été fournies pour conforter les arguments des deux parties.

A-t-on réussi à démontrer que Google a manipulé les enchères en sa faveur pour asseoir sa domination ?

La partie manipulation des enchères a été finalement spécifiquement exclue de cette affaire, probablement par souci de simplicité, mais elle n'est probablement pas nécessaire pour renforcer l'accusation dans son ensemble. Pour mémoire, le dossier écrit qui avait précédé les plaidoiries contient en effet de nombreuses preuves de manipulation des enchères, laquelle est associée aux noms de code "Bernanke", "Bell" et "Dynamic Revenue Share". Toutefois, le ministère de la Justice a décidé de ne pas porter ces allégations devant les tribunaux et de se concentrer sur une affaire plus simple, davantage axée sur les liens de subordination entre l'offre et la demande et sur l'imposition de règles de tarification unifiées.

Quand connaîtrons-nous la décision de cette affaire ?

Le juge a indiqué que nous aurions ses conclusions avant la fin de l'année.