Editeurs, comment contourner Distraction Control d'Apple
Les tests préliminaires réalisés par l'Alliance Digitale avec ses membres donnent des pistes sérieuses pour empêcher l'outil d'impacter durablement l'affichage des fenêtres de consentement et des publicités.
Il est possible pour les éditeurs de sites Internet de contourner, du moins en partie, les effets de Distraction Control, la nouvelle fonctionnalité intégrée par Apple sur Safari et iOS 18, ainsi que sur le nouveau OS pour Mac qui permet aux utilisateurs, depuis le 16 septembre, d'effacer en un clic n'importe quel élément d'une page web (titre, article, jour et heure de publication, image, publicité, fenêtre de consentement aux cookies…). Ce constat sort des tests préliminaires réalisés par l'Alliance Digitale avec ses membres et concerne plus particulièrement le volet publicitaire. La clé se trouve dans le code HTML des pages, qu'il s'agira pour les éditeurs de rendre un peu plus dynamiques, en y injectant du bruit.
Avant d'aller plus loin dans l'explication des remèdes, rappelons déjà le principe de fonctionnement de Distraction Control : l'utilisateur l'active à partir d'un menu disponible dans la barre de recherche chez Safari et peut alors choisir n'importe quel élément de la page pour le faire disparaître. En réalité Distraction Control ne supprime pas ces éléments : il les masque, en couvrant les balises HTML correspondantes au sein du code source de la page. "L'élément est toujours présent, il n'est cependant pas visible. En fonction des éditeurs, les éléments masqués peuvent le rester tant que l'utilisateur ne choisit pas de les faire réapparaître. Chez d'autres éditeurs cependant, nous avons observé que les encarts publicitaires sont réaffichés lors du rechargement de la page", déclare Arian Senior, CTO de l'Alliance Digitale. Quand l'élément réapparaît, il reprend son cycle normal. Dans le cas d'une publicité, elle redeviendra visible.
L'éditeur lui ne se rend compte de rien et aucune information n'est fournie par Apple pour lui permettre de savoir quand un élément est masqué. "Certes, certaines propriétés des éléments masqués sont modifiées dans le code HTML, mais c'est très difficile de les détecter et cela exigerait de constamment les vérifier", explique l'expert. Pire encore, s'il essaye de forcer pour supprimer le masque, cela ne marche pas non plus. "Nous avons essayé de forcer dans le code HTML l'affichage des éléments qui sont masqués par Distraction Control mais cela ne fonctionne pas. Nous soupçonnons que le masquage est géré via une règle codée dans le moteur de rendu des pages HTML de Safari. Cette règle sera toujours traitée en priorité par Safari même si l'éditeur tente de forcer l'affichage des éléments masqués côté client", poursuit Arian Senior.
Décourager et bloquer
Pour contourner Distraction Control, l'éditeur doit jouer sur deux fronts. Tout d'abord, il doit empêcher Safari de masquer durablement les éléments choisis par l'utilisateur. Pour ce faire il suffit d'injecter du bruit dans le code afin d'empêcher Safari de reconnaître l'élément lorsque la page est rafraichie ou à chaque nouvelle session. Concrètement, il s'agira pour l'éditeur de rendre dynamiques les attributs des balises HTML, notamment leur identifiant et, si nécessaire, leur attribut "Class". Comme le navigateur ne sera pas en mesure de masquer durablement l'élément choisi par l'utilisateur, ce dernier devra à chaque fois demander à le détruire dès qu'il changera de page. De quoi le décourager.
Une deuxième mesure est nécessaire : bloquer le scroll du site à chaque fois que l'utilisateur essayera de faire disparaître la fenêtre de consentement aux traceurs publicitaires. Une astuce technique déjà bien connue des éditeurs qu'il s'agirait d'adopter par défaut, à chaque fois que l'utilisateur poursuivrait sa navigation sans cliquer sur une des options proposées par la plateforme de gestion du consentement (CMP). "L'utilisateur aura l'impression d'être face à un bug : quand il rafraîchira la page, il ne pourra toujours pas scroller", précise l'expert. De quoi le décourager de poursuivre sur cette voie… et l'inciter à annuler l'opération de masquage. "En parallèle, il est important également de réafficher la fenêtre de consentement à chaque nouvelle page ouverte par l'utilisateur afin de ne pas bloquer ce dernier dans la durée, ce qui serait préjudiciable pour l'éditeur", explique-t-il.
L'opération semble d'autant plus nécessaire que quand Distraction Control permet de faire disparaître les consent walls, l'utilisateur accède aux contenus sans contrepartie pour l'éditeur. "Quand l'utilisateur masque les fenêtres de consentement avec Distraction Control, pour l'éditeur de la CMP et tous ses partenaires techniques, c'est comme si l'utilisateur ne s'était pas prononcé. Il reste donc en attente, et aucune publicité n'est affichée, du moins dans les cas des éditeurs qui ont fait le choix de ne pas monétiser les audiences sans consentement", précise Arian Senior.
Rappelons que jusque-là Apple n'a fourni aucune documentation technique digne de ce nom aux publishers. Ces derniers ne savent pas encore quel sera le réel impact de l'outil : tout dépendra de l'adhésion des utilisateurs.
"Distraction Control, ce n'est que le début. Ces remèdes que nous avons trouvés sont des premières réponses mais nous nous attendons à ce qu'Apple trouve des solutions pour contourner les mesures adoptées par les éditeurs. Nous allons continuer d'accompagner les éditeurs notamment à travers une task force que nous souhaitons lancer afin d'être capables d'apporter des réponses concrètes de contournement dès que cela sera nécessaire", conclut Arthur Millet, directeur général de l'Alliance Digitale.