Privacy Sandbox en France : les griefs et les inquiétudes s'accumulent
Les analyses d'impact sont freinées par l'absence de visibilité sur le trafic en provenance de ces API et par leur adoption qui tarde à se faire par les principaux outils d'achat publicitaire
A quelques mois du démarrage de la suppression des cookies tiers, maintenue pour le deuxième semestre de cette année par Google, les éditeurs, les régies et les agences semblent toujours aussi perdus au sujet de la Privacy Sandbox. Et ils se montrent de plus en plus inquiets de ces changements imminents.
"Google nous demande de promouvoir la Privacy Sandbox mais les conditions minimales ne sont pas réunies", nous confie un cadre d'un importante groupe média français. "Comment mettre cet outil en avant si Google lui-même ne le fait pas ? Sur GAM (Google Ad manager, le SSP de Google, ndlr) et sur DV 360 (le DSP de Google, ndlr), à ce jour il n'y a rien qui indique le trafic en provenance de la Privacy Sandbox", ajoute-t-il avant de résumer : "Aujourd'hui pour un éditeur branché sur les API de la Privacy Sandbox, censées en phase tests avec les 1% des cookies dépréciés sur Chrome, il ne se passe strictement rien : aucun signal d'achat ni aucune performance spécifique à cet inventaire ne peuvent être détectés."
Si ce spécialiste se montre aussi consterné, c'est que la publicité est au cœur du modèle de nombreux médias édités par son groupe et que le poids de Chrome est massif sur le marché. Certes la Privacy Sandbox n'est pas la seule alternative aux cookies tiers, mais ça en est une, et pas des moindres. D'autant que l'éditeur et sa régie n'ont pas la main sur ce qui se passe.
"Nous n'avons aucune vision sur ce qui se passe dans les API publicitaires de la Privacy Sandbox", confirme Paul Ripart, directeur commercial programmatique et data chez Prisma Media. "Pour Topics (l'API qui segmente l'audience, ndlr), le seul élément de reporting dont nous disposons sur GAM est le revenu moyen obtenu pour les audiences ciblées. Impossible en revanche de connaître le pourcentage de mon audience qui est concernée par Topics. Impossible également de vendre du Topics de manière isolée ou de comparer les performances de Topics avec celles procurées par les cookies tiers. Or, nous savons d'expérience que l'absence d'identifiant fait chuter les revenus.". A ce stade, aucune donnée ne permet de connaître quels segments de l'audience sont concernés par l'outil.
Peu de tests côté buy side
A l'autre bout de la chaîne, chez les acheteurs médias, le manque de visibilité est aussi de mise : aucun flux spécifique aux API de la Privacy Sandbox n'est mis à disposition du marché sur les principaux DSP, à commencer par DV 360 et Xandr (Microsoft). "A ce jour, aucun des DSP dont nous nous servons, dont DV 360, Xandr et Hawk, n'a annoncé de date de mise à disposition de ce type d'inventaire", confirme Antoine Saglier, directeur général de ZBO Media. Microsoft Advertising a fait part, dans un post publié mardi 5 mars, de son intention d'intégrer les API de la Privacy Sandbox à ses outils publicitaires, mais sans donner plus de précisions. The Trade Desk a déjà annoncé publiquement ses fortes réserves à l'égard de ces API.
L'adoption de la Privacy Sandbox demeure ainsi freinée pour le buy side, ne serait-ce que par l'impossibilité pour l'instant de tester ses API dans les technologies publicitaires de Google. L'attitude très prudente de ces entités (DV 360, Google Ads…) s'explique par l'enquête et le suivi très détaillé que la Competition and Markets Authority (CMA) mène au sujet de la Privacy Sandbox. De toute évidence Google ne peut pas accélérer cette adoption sans le feu vert de l'autorité, qui doit s'assurer que l'outil ne renforce pas sa position dominante sur le marché. Le marché en est bien conscient et ne s'attend pas à ce que la situation évolue de façon significative avant le deuxième semestre quand une décision finale devrait être livrée par l'autorité britannique.
Même si nous avons confirmation que des tests sont en cours chez certaines adtech spécialisées dans l'optimisation d'inventaires et également au sein de grands groupes médias, ils restent limités, menés avec de petits DSP et gardés au coffre-fort… personne n'osant pour l'instant dévoiler ses conclusions de peur de se précipiter avec une donnée trop biaisée par tous ces aléas.
Les retours du retargeting
Pour le moment, les spécialistes de l'achat média qui souhaitent se documenter davantage sont nombreux à se contenter des retours de tests publiés sporadiquement par les retargeteurs, les seuls à disposer d'un peu plus d'expérience au sujet de ces outils, dont notamment Criteo et RTB House.
Les éditeurs qui le souhaitent peuvent prendre part aux tests menés sur l'API Protected Audience (PAAPI) par les retargeteurs : "Criteo notamment est à la recherche d'éditeurs souhaitant tester l'API. Il suffit de mettre à jour son module de header bidding et autoriser Criteo à faire des achats chez soi", explique Paul Ripart, en précisant que Prisma teste en ce moment PAAPI avec Criteo.
Pas de quoi lui permettre de disposer de plus de visibilité en revanche : "Dans GAM, le seul élément de reporting concernant PAAPI est l'indication que l'impression a été livrée par cette API. Mais aucune précision n'est donnée sur la différence de prix de l'enchère qui a permis de gagner vis-à-vis de ses concurrentes, contrairement à ce qui se passe dans le header bidding", regrette-t-il.
Peu de volumes, mais des risques pour la web perf
Pas de surprise, un autre frein à l'adoption de l'outil par le marché est le volume très limité des audiences concernées par la Privacy Sandbox : sans doute moins de 1% – car il faut également considérer ceux qui n'y consentent pas ou qui ne disposent pas des dernières versions de Chrome – des 65% des internautes (la part de marché estimée du navigateur). Cerise sur le gâteau : même si tout le marché le lui demande, Google ne dévoile pas le taux de consentement des 1%…
Et ce n'est pas tout. Outre tous les freins décrits, les éditeurs et les régies que nous avons consultés s'inquiètent de l'impact de la Privacy Sandbox sur la web performance, item hautement stratégique pour les médias. "Tout se passe au sein du navigateur, y compris les enchères dont le nombre de requêtes est appelé à doubler avec PAAPI de la Privacy Sandbox. Rien à ce stade ne nous permet de nous assurer qu'il n'y aura pas d'impact sur la latence", explique Damien Mangin, directeur data du groupe Figaro et CTO de CCM Benchmark. "PAAPI entre en jeu seulement après la réponse du header bidding. Cela risque d'avoir de grosses incidences sur le temps de chargement de la page ", alerte également Paul Ripart.