Limited Ads, le nouvel outil publicitaire de Google, fait chou blanc
Google avait promis aux médias français qu'il leur permettrait de monétiser le trafic pour lequel ils n'ont pas obtenu de consentement. Mais cela risque d'être impossible.
C'est peu dire qu'avec ses nouvelles exigences en matière de transmission du consentement de l'internaute, Google a jeté le trouble chez les éditeurs français qui utilisent la plateforme de monétisation d'inventaire publicitaire Google Ad Manager (c'est à dire la quasi totalité des éditeurs français, du Monde à L'Equipe en passant par Les Echos/Le Parisien). Pour rappel, le géant de la publicité leur a annoncé en juin dernier qu'il ne monétiserait plus le trafic pour lequel ils n'ont pas récolté le consentement de l'utilisateur à la finalité numéro 1, "stockage et accès aux informations stockées sur un device". "Une exigence qui, conjuguée à l'entrée en vigueur des recommandations de la Cnil début 2021, risque de provoquer un big bang publicitaire, en même temps que les taux d'acceptation des internautes à la dépose de cookies et autres traceurs chuteront", selon Winoc Coppens, directeur des systèmes d'informations de 20 Minutes. Les éditeurs qui utilisent Google Ad Manager (c'est le cas de la très grande majorité) ne pourront plus monétiser 30 à 50% de leur inventaire selon les estimations les plus pessimistes.
"L'outil ne concernera dans un premier temps que les campagnes vendues en gré à gré, sur desktop"
Conscient qu'il ne peut laisser les éditeurs dans cette situation, Google leur avait promis l'été dernier l'arrivée d'une fonctionnalité baptisée Limited Ads, leur permettant de monétiser le trafic pour lequel ils n'avaient pas obtenu le consentement. Le projet a, selon nos informations, bien avancé et Google s'apprête à lancer l'outil d'ici la fin du mois de septembre. Mais les éditeurs français, qui sont quelques-uns à échanger avec Google sur le sujet, ont eu la surprise de découvrir qu'il était loin d'être conforme à leurs attentes. Première déception, l'outil ne concernera que les campagnes vendues en gré à gré, sur desktop. L'in-app et le programmatique, qui pèsent désormais la majorité des revenus publicitaires des éditeurs, ne sont pour l'instant pas concernés. Google assure que Limited Ads sera opérationnel au sein de l'univers applicatif d'ici fin octobre mais ne donne pas d'échéance pour le programmatique.
Encore plus surprenant, Google a précisé aux éditeurs que, bien que son mode Limited Ads se déclenche même lorsque l'utilisateur refuse les cookies (en absence de consentement pour la finalité 1 évoquée plus haut), il avait néanmoins besoin que les éditeurs lui confirment qu'il a le droit d'exploiter les finalités 2 (publicité basique), 7 (mesure et performance), 9 (audience insights) et 10 (développement et amélioration du produit). Pour obtenir ce droit au nom de Google, les éditeurs ont deux options. Première solution : obtenir le consentement de l'internaute. Problème, c'est en pratique impossible. "Un utilisateur n'entre jamais dans le détail de ce qu'il accepte ou non. Soit il accepte tout, soit il refuse tout", explique un patron d'adtech. En d'autres termes, si l'internaute a dit non à la finalité 1, il dira non aux autres finalités indispensables au bon fonctionnement de Limited Ads.
Google propose néanmoins une deuxième option aux éditeurs. Recourir à une autre base légale que le consentement, celle de l'intérêt légitime. C'est possible pour des finalités dont l'éditeur estime qu'elles sont indispensables au bon fonctionnement de son site. Mais c'est compliqué à plusieurs titres. D'abord parce que tous les médias ne sont pas persuadés qu'invoquer l'intérêt légitime pour afficher de la publicité soit défendable auprès des autorités de protection des données. Mais aussi parce que l'internaute a, de toute façon, le droit de révoquer cette base légale. Lorsqu'il clique sur "refuser tout", il manifeste en effet son souhait de ne pas être traqué, même pour les finalités qui relèvent de l'intérêt légitime.
"Google était persuadé que l'intérêt légitime n'était pas une base légale à laquelle l'internaute pouvait s'opposer"
"Une CMP peut techniquement envoyer aux partenaires publicitaires de l'éditeur des signaux d'intérêt légitime, même lorsque l'utilisateur refuse tout dès la première couche de la CMP. Mais les médias s'y refusent car ils estiment qu'un 'non' de l'internaute n'est pas révoquable", confirme Adrien Thil, directeur du développement de la plateforme publicitaire Smart. Trois médias interrogés par le JDN confirment l'analyse. "C'est juridiquement très risqué", assure l'un d'entre eux au JDN. Un avis partagé par Romain Gauthier, le patron de la solution de CMP Didomi. "C'est une pratique malhonnête qui me semble punissable par l'autorité de protection des données." C'est pourtant une vraie surprise pour Google, à en croire un média qui est en discussions avec le géant de la publicité. "Google était persuadé que l'intérêt légitime n'était pas une base légale à laquelle l'internaute pouvait s'opposer."
"Une CMP n'est pas un adblocker… sauf dans le cas de Google"
Reste qu'en l'état, la valeur proposée par le module Limited Ads est donc… nulle. Les éditeurs qui utilisent Google Ad Manager ne seront pas en mesure de diffuser de publicités lorsqu'il n'y a pas de consentement. Un coup dur alors que des concurrents de Google, comme Smart et Xandr, permettront, eux, à leurs clients de diffuser des publicités non ciblées, non trackées, non cappées (des publicités ultra basiques mais des publicités quand même) dans ce cas de figure. "L'internaute qui refuse les finalités affichées dans la CMP s'oppose au traitement de ses données personnelles, pas à l'affichage de publicité. Une CMP n'est pas un adblocker… sauf dans le cas de Google", pointe Adrien Thil.
Du côté des médias français, on est forcément moins enclin à faire des bons mots. "C'est vraiment une mauvaise surprise car on attendait de cette solution qu'elle nous permette de monétiser le trafic non consenti", résume Winoc Coppens. Un patron de régie, qui échange lui aussi avec Google, cherche à comprendre les raisons de ce positionnement. "On va demander à Google pourquoi il a absolument besoin d'appliquer une base légale à ces finalités. Et j'espère qu'il assouplira sa position en voyant qu'elle n'est pas applicable au marché français."
Et Google y sera peut-être contraint s'il ne veut pas perdre des parts de marchés. "Nous allons regarder les alternatives car nous sommes persuadés que les utilisateurs vont être de plus en plus vigilants concernant le traitement de leurs données", confirme Winoc Coppens. "Il n'y a pas urgence car les taux de refus sont encore très bas sur desktop, moins de 1%, mais nous y réfléchissons aussi", confirme notre patron de régie anonyme. Et d'évoquer une configuration hybride, avec Google Ad Manager comme adserver primaire et la mise en place d'un appel vers un autre adserver, via prebid, lorsqu'il n'y a pas de consentement. "Cela impliquerait que nos traffic managers paramètrent à chaque fois les campagnes au sein des deux adservers, au cas où, mais ce serait un moindre mal."