2021, l'année où Google ruine les éditeurs français ?
Une décision de Google, dont les éditeurs n'ont pas mesuré les implications, risque de les amputer d'une bonne partie de leurs revenus publicitaires.
En un billet de blog, Google a-t-il signé la ruine des médias français ? Dans ce texte, le géant publicitaire détaille ses futures exigences en matière de transmission du consentement de l'internaute – ce processus qui démarre avec la fameuse fenêtre "Acceptez-vous les cookies ?" et dont une nouvelle version doit être prochainement adoptée par les acteurs impliqués dans la diffusion des publicités sur Internet. Techniquement, on parle de la V2 du framework de transmission du consentement, le TCF.
Or, voici ce que dit Google : "Si vous n'avez pas le consentement pour la finalité numéro 1, 'stockage et accès aux informations stockées sur une device', il est inutile d'appeler l'ad-server de Google". Cet ad-server, qui porte le nom d'Ad Manager, est l'outil développé par Google pour afficher des publicités venues de tous horizons au sein du site Internet de l'éditeur. Du moins, lorsque l'internaute les autorise à déposer un cookie pour tracker sa navigation, explique Google. Dans le cas contraire, il refusera de lui afficher toute publicité, qu'elle soit personnalisée ou non.
Le début du mois de juillet, date d'entrée en vigueur de la V2 du TCF, signifiera donc pour les médias français un manque à gagner préjudiciable, mais rien d'insurmontable encore . Selon les typologies d'éditeurs, 5 à 10% de l'inventaire publicitaire est pour l'instant mis en vente sans consentement au cookie. Mais ce sera une toute autre histoire à partir de 2021, une fois les recommandations de la Cnil de janvier adoptées. La Cnil demande en effet que les options "accepter" et "refuser" soient mises sur un même pied d'égalité dans le message affiché au visiteur. Une symétrie qui aura une incidence sur les taux d'acceptation. Ces derniers devraient passer d'environ 90% aujourd'hui à moins de 50% lorsque le nouveau système sera mis en place, selon les estimations du marché.
Les impressions vendues par la régie ou en header bidding bloquées par Google Ad Manager si pas de consentement au cookie
Forcément un problème pour les éditeurs équipés de Google Ad Manager, qui au regard de la politique affichée par leur ad-server, ne pourront dans ces conditions plus monétiser une bonne partie de leur inventaire publicitaire. Pas plus les campagnes vendues par la régie que celles vendues en header bidding auprès d'autres SSP comme Xandr, Smart ou Rubicon Project, dont l'affichage est permis par Ad Manager. Qu'importe qu'elles ne procèdent à aucun ciblage de l'utilisateur, l'ad-server bloquera malgré tout leur diffusion si le cookie n'est pas au rendez-vous. "Si les choses restent en l'état, nos revenus publicitaires vont fondre", résume le patron d'une régie équipée de Google Ad Manager. Une situation d'autant plus effrayante pour cet acteur qu'il n'aura aucun véritable levier pour convaincre ses visiteurs d'accepter ses cookies. Les Cnil européennes viennent, en effet, de se mettre d'accord pour considérer le cookie wall (qui bloque l'accès aux internautes qui refusent la dépose de cookies) contraire au RGPD.
"Cela va certainement être un choc pour les éditeurs dont tout l'inventaire dépend de l'adserver Google"
"Cela va certainement être un choc pour les éditeurs dont tout l'inventaire dépend de l'adserver Google", prévient le fondateur de la solution de CMP Didomi, Romain Gauthier. Le genre de tempête qui risque de faire passer le DBM Gate, cette journée qui avait vu Google torpiller une partie des revenus digitaux des éditeurs européens, pour une ondée matinale. Car, exception faite des groupes Figaro-CCM Benchmark et Planet Media, tous les grands groupes médias français ont adopté la technologie de Google.
Une exigence pas nouvelle... mais pas appliquée
Rares sont pourtant ceux qui sont, aujourd'hui, conscients de la menace. La plupart des acteurs interrogés par le JDN l'ont appris en même temps qu'ils étaient interviewés. Ce qui est d'autant plus surprenant que l'information n'a, en réalité, rien de nouveau. Car Google demande déjà aux éditeurs de ne pas lui envoyer de requêtes publicitaires pour lesquelles ils n'ont pas récolté de consentement aux cookies. "Cela vaut aussi pour les publicités non personnalisées, car ces dernières ont recours au cookie pour gérer la fréquence de diffusion, la lutte contre la fraude et la mesure des impressions", explique Google dans cette note aux utilisateurs de Google Ad Manager. Une demande qui fait suite à la directive eprivacy de 2002-2009 et qui peut, à en croire Romain Gauthier, tout à fait se comprendre. "C'est une interprétation plutôt stricte du règlement mais j'imagine que Google étant souvent dans le viseur des autorités de régulation, il préfère ne pas prendre de risque", commente notre expert.
Le problème, c'est qu'entre le discours de Google et la réalité, il y a pour l'instant un gouffre. Pour en comprendre la nature, il faut revenir à la naissance du TCF, ce standard de l'industrie qui permet à un éditeur équipé d'une CMP de transmettre à l'ensemble de ses partenaires les finalités pour lesquelles il a obtenu le consentement de l'utilisateur. Google ayant refusé d'intégrer la V1 du TCF, il ne reçoit pas, comme le reste des vendeurs de chaîne les consentements en provenance des éditeurs. Ces derniers lui envoient l'information, en même temps que la requête publicitaire : NPA=1 si pas de consentement, NPA=0 si c'est le cas (NPA étant l'acronyme de non personalized ads). "Mais c'est un système artisanal qui ne permet pas de savoir à quelle fin l'éditeur a obtenu le consentement", regrette Romain Gauthier. De sorte que Google peut être amené à diffuser de la pub, même si la finalité "publicité personnalisée" n'a, elle, pas été consentie.
Google n'a pas, non plus, le moyen de remonter la chaîne pour s'assurer de la légitimité du consentement qu'on lui a transmis (comme le permet le TCF). Cela laisse beaucoup de place aux erreurs de manipulation du côté des éditeurs, voire à la triche pour les moins scrupuleux. "Google a bien conscience de ces lacunes mais se retranche derrière la responsabilité de l'éditeur en cas de problème", peste un dirigeant de régie média. Ce dernier, qui utilise Google Ad Manager, assure d'ailleurs monétiser les requêtes publicitaires qui ne sont pas assorties d'un cookie. "On le fait moins bien, avec un revenu pour 1 000 impressions inférieur de 30%, mais on le fait encore", constate-t-il. Une information corroborée par un autre acteur du marché qui assure, lui aussi, qu'à "aucun moment l'ad-server de Google ne fait blocus pour les ventes réalisées via d'autres acteurs, même lorsqu'il n'y a pas de consentement."
"Pour y remédier, Google nous a parlé d'un outil baptisé Limited Ads qui arriverait d'ici juin… mais je n'y crois pas du tout vu les délais"
L'adoption de la V2 du TCF par Google (qui sera peut-être décalée par l'annonce de la prolongation du support de la V1) va mettre un terme à cette zone grise. Plus aucun moyen de transiger avec la réalité : pas de consentement, pas de Google Ad Manager. Du moins si Google campe sur sa position. Car, à en croire un autre patron de régie, "les collaborateurs de Google sont moins définitifs que les textes publiés par l'entreprise sur le Web." Un autre confie d'ailleurs avoir été approché au sujet d'un nouvel outil made in Google, baptisé Limited Ads. Cet outil, dont les modalités sont encore vagues, permettrait aux clients de Google Ad Manager de commercialiser toute impression non achetée par Google, même s'ils n'ont pas de consentement. Un moyen de permettre aux éditeurs de maintenir le business publicitaire à flot.
"On nous a promis qu'elle arrivera en juin… mais je n'y crois pas du tout vu les délais", tempère-t-il. Une autre solution, envisagée par cet éditeur, serait de "bypasser" l'ad-server de Google pour diffuser les impressions vendues via le header bidding. C'est techniquement possible, mais lourd à mettre en place, car cela impose de déployer une autre technologie en parallèle de celle de Google. Dans ces conditions, il sera peut-être plus simple de carrément changer de suite publicitaire. Et abandonner Google Ad Manager pour un concurrent comme Xandr ou Smart. "Ce sera lourd mais nous n'aurons peut-être pas le choix", commente cet éditeur.
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