Publicité : Facebook part à la chasse des budgets de TF1, M6 et cie
La plateforme séduit de plus en plus d'annonceurs de la grande consommation. Sa mainmise sur le marché digital actée, elle cherche désormais de la croissance auprès des investissements TV.
Un an après son lancement aux Etats-Unis, Facebook a décidé fin août de déployer son service de contenus de vidéo Watch à l'international. Si cette plateforme s'inscrit dans une stratégie de relance de Facebook (la croissance du réseau social s'est ralentie ces derniers mois) en capitalisant sur le format star du Web, la vidéo, elle témoigne également de la volonté de la firme de Palo Alto de chasser sur les plates-bandes du monde de la TV.
L'enjeu est avant tout financier pour le groupe. Facebook s'arroge déjà une part considérable des investissements display dans le monde (entre 50 et 75% selon les études) et pour continuer de croître, ses équipes doivent sortir des sentiers battus digitaux pour trouver des leviers de croissance. Et avec près de 3,3 milliards d'euros investis en France en 2017 selon l'Irep, le marché de la publicité TV fait figure de cible idéale. Il est ainsi six fois plus gros que celui de la vidéo online qui pesait 577 millions d'euros sur la même période, selon les chiffres de l'Observatoire de l'ePublicité du SRI. On comprend mieux pourquoi "les équipes de Facebook France visent les budgets captés par un TF1 plutôt que ceux d'une plateforme vidéo en ligne comme Advideum", constate Nicolas Schmitz, patron France de l'agence Performics. C'est là que se trouve le gros du gâteau publicitaire vidéo.
"Le marché TV français est six fois plus gros que celui de la vidéo online"
Les velléités de Facebook ne datent pas d'hier. "Il y a deux ans déjà, ils communiquaient sur le fait qu'ils étaient l'égal d'un prime time de TF1 côté audience", se remémore Frédéric Saint-Sardos, le directeur général de l'agence Socialyse. TF1 dont est issu… le patron de Facebook en France. Laurent Solly a rejoint la plateforme en 2013 après avoir été le patron de la régie du groupe audiovisuel. Avec lui, un carnet d'adresses bien fourni. Mais le patron n'est pas le seul à pouvoir ouvrir les portes des bureaux des dirigeants du Cac 40. "Certains collaborateurs de Facebook parlent à des interlocuteurs auxquels la plupart des régies n'ont pas accès", confirme Nicolas Schmitz.
Le patron du digital d'OMD, Salem Handoura, confirme l'offensive. "Si Facebook n'a pas la puissance commerciale de Google, l'équipe France s'est beaucoup staffée en client partners pour évangéliser les agences et les annonceurs." Longtemps cantonnée à des campagnes à la performance qui s'achètent au CPC, la plateforme a également fait évoluer son offre pour attirer une nouvelle typologie d'annonceurs dans ses filets. Et ça marche… Un grand annonceur du secteur de la boisson qui dépense près de 2 millions d'euros par an en digital lui a consacré près de 80% de son enveloppe en 2017. Salem Handoura le confirme : "Sur le digital, c'est Facebook qui fait notre croissance."
"Pour une campagne branding avec un très fort objectif de reach et une montée en couverture rapide, c'est sûr que je coche la case Facebook"
Il faut dire que 27 millions de personnes se connectent sur la plateforme chaque jour en France. Son offre baptisée reach and frequency, "qui aide les annonceurs à raconter l'histoire de leur business", selon les termes de Facebook, est aujourd'hui un incontournable des plans médias. "Pour une campagne branding avec un très fort objectif de reach et une montée en couverture rapide, c'est sûr que je coche la case Facebook", affirme Nicolas Schmitz. Chez Performics, la majorité des budgets dépensés sur Facebook sont désormais du branding.
A l'argument de l'audience, Facebook ajoute celui des formats innovants, comme le rappelle Adam Marki, responsable des ventes de la plateforme en France. "Carrousel, vidéo 360, stories verticales… Nous proposons aux annonceurs qui veulent faire du branding tout un arsenal de formats qui collent aux nouveaux usages mobiles, là où les vieilles recettes des médias ne marchent pas." Si la télévision a longtemps eu l'apanage des belles campagnes de pubs, ce n'est plus le cas. "On voit parfois de supers créations pensées pour les réseaux sociaux. Il suffit de regarder les prix décernés durant les Cannes Lions pour s'en rendre compte ", juge Mélissa Sanchot, chief marketing officher du spécialiste de la publicité sociale Makemereach.
Mais Facebook, c'est aussi des formats plus classiques comme le pré-roll auquel Mark Zuckerberg a pourtant longtemps dit non. C'est aussi un mid-roll qui peut s'insérer une fois la première minute de visionnage écoulée sur les vidéos de plus de 3 minutes. Autant de formats qui font beaucoup penser à ceux de la TV. Conséquence de cette politique : le format vidéo est en croissance de 37% sur l'année chez un Facebook marketing partners présent en France… alors que les autres formats display sont en léger recul.
"Une très forte croissance des investissements alloués par les FMCG à Facebook"
Ce mix d'audience et de formats permet aujourd'hui à Facebook d'attirer dans ses filets une typologie d'annonceurs pourtant connue pour sa frilosité à l'égard du digital : les FMCG (fast-moving consumer goods), ces produits de grande conso que l'on retrouve dans la grande distribution. "On observe une très forte croissance des investissements alloués à Facebook chez ces annonceurs qui se concentraient historiquement sur la TV et la presse", selon Salam Handoura. Adam Marki confirme "ce succès auprès de marques de grande conso qui ont peu d'informations sur le consommateur et sont pieds et poings liés avec les retailers sur le Web comme en magasin."
Il faut dire que la plateforme ne ménage pas ses efforts pour leur donner la "vue". Elle vient selon nos informations de nouer un partenariat avec la filiale data du groupe Casino, RelevanC, pour proposer aux annonceurs des études d'impact sur les ventes en magasin. Elle se cantonnait jusque-là à des études panélistes comme celle de Kantar ou du joint-venture entre GFK et Médiamétrie, Marketing Scan. Histoire d'appâter le chaland, elles sont offertes aux annonceurs qui dépensent plus de 100 000 euros au sein de la plateforme. "On passe des KPI médias classiques à des KPI business", commente Adam Marki.
Ainsi, les reportings de l'annonceur ne mettent plus en avant les taux de clics ou de complétion des vidéos (des critères sur lesquels Facebook n'a jamais été performant, il faut dire) mais l'impact direct sur les ventes. Chez Facebook, on parle de brandformance, un mix de branding et performance, pour traduire une promesse qui semble faire mouche auprès des annonceurs.
"Facebook investit beaucoup dans des études de ce type et il n'est pas rare que les équipes marketing viennent pitcher directement les annonceurs pour leur vanter les mérites de la plateforme", note Nicolas Schmitz. Des annonceurs qui, moins matures sur le sujet du digital, seront sans doute moins à mêmes de challenger les démonstrations réalisées par Facebook. "On est souvent tenté de leur rétorquer que le succès des études poussées par Facebook tient plus à celui de copies créatives réussies, et donc difficiles à répliquer, qu'aux performances intrinsèques de la plateforme", pointe un patron d'agence digitale. Mais Facebook n'invente rien. "On reprend ici les recettes des régies TV qui s'échinent à montrer à coup d'études post test TV l'efficacité de leurs campagnes", estime Frédéric de Saint-Sardos. La plateforme vient d'ailleurs de poster une annonce pour recruter son nouveau measurement partner.
"Les équipes Facebook m'ont brandi une étude qui voulait prouver que le pré-roll Facebook de quelques secondes était plus efficace qu'un spot TV"
TF1, M6 et cie doivent-ils s'inquiéter ? Non, à en croire Frédéric Saint-Sardos. "La puissance des grandes chaîne en matière de reach, répétition et attribution à la marque est telle que Facebook ne pourra pas s'y substituer. Mais le branding vidéo n'est plus la chasse-gardée de la télévision et Facebook s'avère être aujourd'hui un très bon complément." Adam Marki abonde. "Nous nous positionnons plutôt comme un moyen de toucher une audience incrémentale." Mais pour combien de temps ? Pour s'en donner une idée, notre patron d'agence anonyme rapporte cette anecdote surprenante. "Les équipes Facebook m'ont quand même brandi une étude qui voulait prouver par A+B que le pré-roll Facebook de quelques secondes était plus efficace qu'un spot TV !" Face au scepticisme de notre interlocuteur, elles ne se sont pas laisser démonter. "C'est évident que Facebook a les budgets TV dans son viseur. Mais il va falloir plus que quelques études pour me démontrer qu'un pré-roll de trois secondes sur un écran aussi petit que le smartphone est plus efficace qu'un spot de 15 secondes sur un écran de télévision", prévient-t-il.