Benoît Cassaigne (Médiamétrie) "Médiamétrie va fournir de la data tierce aux acheteurs médias en 2016"
Le directeur exécutif de Médiamétrie explique comment l’institut se positionne sur le marché de la data et du programmatique, en plus de la mesure d'audience.
JDN. Le cœur de métier de Médiamétrie est la mesure d'audiences. Mais votre activité évolue de plus en plus vers l'étude des usages. En quoi Internet vous permet-il cette évolution ?
Benoît Cassaigne (Médiamétrie). Deux des axes de développement de Médiamétrie sont la mesure multi-écran et le croisement de ces données avec de la donnée tierce, pour étudier l'usage et les actions de l'utilisateur. Ce dernier point ne peut être nourri que par le numérique, sur lequel on trouve des traces de toutes sortes (logs, cookies, tags…).
Nous travaillons par exemple depuis deux ans sur la télévision pour rapprocher les données "log" que nous communique Canal Satellite avec nos données panel TV. De nouvelles données peuvent donc être collectées, quasiment en temps réel, permettant par exemple de connaître à chaque instant ce qui est visionné sur le téléviseur. Cela nous permet de gagner en granularité, et notamment de mieux cerner l'usage des chaînes dont l'audience est de plus en plus fragmentée.
Début 2014, vous expliquiez être légitime pour vous positionner sur le marché du programmatique. Deux ans plus tard, où en est-on ? Encore au stade de la réflexion ?
Nous sommes sortis du simple stade de la réflexion : nous avons décidé jeudi dernier de commencer à communiquer des données qui permettront à nos clients de faire de l'audience planning. En gros de l'achat média nourri avec de la data socio-démo ou d'usage. Dans un premier temps sur Web fixe puis sur les trois écrans dans le courant du 1er semestre.
Comment y arrivez-vous ?
Nous allons coupler les données de notre panel online avec celles du panel Homescan de Nielsen et nous appuyer sur un partenaire technologique qui nous permettra d'extrapoler cette base sur des millions de cookies. Nos clients ont de nombreuses attentes vis-à-vis de ce produit et nous estimons que nous avons un vrai rôle à jouer en matière de fournisseur de data tierce.
Vous avez déjà fait une incursion de ce type avec Digital Ad Ratings, qui permet aux agences d'optimiser leur taux de couverture sur cible. Quelle est la différence ?
"Digital Ad Ratings représente 10% de notre CA Internet"
On ne se situe tout simplement pas au même point de la chaîne de valeur de l'achat média. Il s'agira d'être présent au moment de l'achat alors que Digital Ad Ratings (DAR) est un outil de bilan de campagne.
L'outil permet de mesurer quotidiennement l'audience des campagnes publicitaires en ligne, la couverture sur cible, la fréquence d'exposition ainsi que le profil… Basé sur un croisement entre nos tags et les 26 millions de membres Facebook, puis redressé selon notre panel, l'outil fonctionne aussi bien sur Web fixe que sur mobile et pèse déjà 10% de notre activité Internet avec un chiffre d'affaires qui a doublé en 2015. Plusieurs centaines de campagnes ont été lancées l'année dernière et les principales agences de la place ont eu recours à notre outil.
En ajoutant donc cette nouvelle brique d'audience planning, vous couvrez toute la chaîne, du planning média jusqu'au bilan de campagne…
C'est exactement ça. C'est d'ailleurs déjà le cas en TV et en radio où il s'agit du même outil, tout le long de la chaîne de valeur. Mediamat permet en effet le planning, l'achat et le bilan. L'idée est donc d'arriver à une solution "fullstack" sur Internet et de rapprocher des outils pour l'instant disjoints courant 2016.
Côté produit, on peut parler d'une année 2015 charnière, avec le lancement de la mesure de l'audience de l'Internet global…
C'était effectivement un de nos gros chantiers 2015. Il impliquait de fusionner les études AudiPresse ONE pour la presse, les études Médiamétrie//NetRatings pour l'Internet Fixe et les panels Internet Mobile et Tablette pour aboutir à une vue d'ensemble des résultats de ces trois équipements. C'était une nécessité pour nous permettre de communiquer aux marques leur audience globale sur les 3 écrans et analyser leur complémentarité. Ces informations permettent aux éditeurs d'optimiser leurs contenus et aux agences et aux régie de mieux valoriser les campagnes pluri-médias.
Vous venez aussi d'intégrer l'audience de la catch-up à celle des programmes de télévision…
Cette mesure est pour l'instant cantonnée au Web fixe, mais devrait concerner courant 2016 les quatre écrans (IPTV, Web fixe, smartphone et tablette). C'est aussi une évolution de notre offre rendue nécessaire par l'apparition de nouveaux usages. La consommation des programmes télévisuels et vidéos se délinéarise. Rendez-vous compte, 19% de l'audience de la télévision passe par ce mode de consommation chez les 15-24 ans.
Médiamétrie n'éprouve-t-il pas quelques difficultés à établir une mesure d'audience fiable sur le mobile, laissant le champ libre côté applicatif à un acteur comme Appannie, par exemple ?
"La mesure de l'internet mobile s'appuiera sur un panel"
C'est vous qui le dites ! Je ne renierai pas les audiences que nous avons jusque-là communiquées. Mais j'admets que le modus operandi, la remontée des "log" opérateurs de télécommunication, est de plus en plus compliqué à mettre en place. En raison notamment du renforcement des niveaux de sécurité des OS et de nos difficultés à percer le format "https" qui s'est démocratisé.
En outre, nous devons modéliser l'audience de Free qui ne fournit pas ses logs, et nous sommes toujours aveugles sur les connexions Wifi… Bref nous ne pouvons pas être aussi exhaustifs que nous le voulons. Mais nous espérons régler tous ces problèmes en basculant sur une mesure dite "metered" sur mobile puis sur tablette.
C'est-à-dire ?
Il s'agira dans un premier temps d'utiliser un "meter VPN" nous permettant de faire remonter les données panels sur mobile grâce à une application AnalyzeMe qui, une fois installée, tournera en tâche de fond. Nous rapprocherons ces données panel, dans un second temps, de données tierces comme celles que communiquent eStat ou AT Internet avec le concours de l'OJD, pour faire mieux en matière de granularité.
Cette mesure verra le jour en deux temps. Des premiers résultats "panel mobile" en juin prochain sur des données collectées en mars, et une "hybridation" avec les données tierces d'un partenaire à partir de septembre sur les données de juin.
Dans un contexte de publiphobie ambiante, où les annonceurs se posent la question de la visibilité, quel pourrait être le rôle de Médiamétrie ?
La mesure des audiences est le plus souvent quantitative. Mais elle doit être aussi qualitative. Je pense qu'il est important de travailler la mesure d'indicateurs d'engagement, qu'il s'agisse de la qualité de l'environnement éditorial ou des interactions de l'internaute avec la publicité (visibilité, durée..). C'est ce que nous faisons avec Integral Ad Science et ce que nous allons continuer à développer.
Cette mesure de l'engagement peut-elle s'appuyer sur les technologies de reconnaissance faciale comme essaient de le faire certains acteurs du secteur ?
Peut-être. Nous avons rencontré quelques prestataires, mais on parle d'une technologie encore balbutiante et qui pose beaucoup de questions en termes d'intrusion dans la vie privée. Nous n'y sommes donc pas encore…
2015 fut-elle une bonne année pour Médiamétrie ?
D'un point de vue économique, oui ! Médiamétrie a réalisé en 2015 un chiffre d'affaires stable de 90 millions d'euros et atteint un taux de rentabilité cohérent avec notre modèle économique, de l'ordre de 7%. Suffisant pour nous permettre de continuer à autofinancer notre développement et les investissements technologiques qu'il implique.