Comparatif des clouds quantiques : IBM le pionnier, Microsoft le pragmatique

Comparatif des clouds quantiques : IBM le pionnier, Microsoft le pragmatique Les géants du cloud proposent des services pour se familiariser avec le développement d'algorithmes quantiques et évaluer leur potentiel. Leurs approches diffèrent toutefois fortement.

L'informatique quantique devrait (enfin) mettre fin à la loi de Gordon Moore. En 1975, le cofondateur d'Intel prédisait que le nombre des transistors présents sur une puce allait doubler tous les deux ans. La seule limite qu'il prévoyait à sa loi était physique, la miniaturisation des composants électroniques se heurtant à la taille des atomes. Il fixait cette échéance à... 2020. Nous y sommes. Face à ce plafond de verre, une nouvelle solution se profile, déjà, à l'horizon avec la physique quantique, qui étudie justement le comportement des atomes. Appliquée à l'informatique, elle permet de changer de dimension. Un ordinateur classique est binaire, il ne peut avoir qu'un seul état à la fois : 0 ou 1. Le calculateur quantique utilise, lui, non pas des bits mais des qubits qui peuvent représenter de façon simultanée un 0 et un 1. Cette superposition des états offre une puissance de calcul inégalée. Les cas d'usage possibles de l'informatique quantique ? Le développement de molécules de synthèse en chimie ou encore l'optimisation de la gestion de risques dans le monde bancaire, par exemple. Dans l'informatique, elle peut permettre par ailleurs d'entraîner des algorithmes d'intelligence artificielle ou de casser les clés de chiffrement.

Jusqu'à un passé très récent, l'informatique quantique était réservée aux labos de R&D et aux centres universitaires. Les contraintes techniques pour assurer la stabilité des qubits sont particulièrement draconiennes. Isolé du monde extérieur, le calculateur doit être protégé des interférences magnétiques et refroidi à des températures proches du zéro absolu (- 273,15°C). Des considérations techniques qui n'ont pas fait reculer les GAFA. Les géants du numérique ont conçu des services de calcul quantique managés en mode cloud. IBM a été le premier à proposer une offre de quantum computing a a service (QCaaS). C'était en 2016. Big Blue est rejoint, deux ans plus tard, par Alibaba Cloud puis, fin 2019, par Microsoft Azure et Amazon Web Services (AWS).

Comparatif des services cloud d'informatique quantique
  IBM Quantum Experience Microsoft Azure Quantum AWS Braket  Alibaba Cloud
Année de lancement 2016 2019 2019 2018
Ordinateurs quantiques Ordinateurs quantiques en propre Honeywell, IonQ, QCI IonQ, Rigetti, D-Wave Ordinateurs quantiques en propre
SDK Qiskit Quantum Development Kit SDK Amazon Braket Alibaba Cloud Quantum Development Platform (ACQDP)
Langages supportés OpenQASM, Python Q#, Python, C++, C... Python Python
Partenaires académiques Université de Princeton, The Coding School Membre des réseaux Quantum Science Center (QSC) et Q-NEXT, Pacific Northwest National Laboratory California Institute of Technology, universités de Stanford, du MIT et de Chicago Académie chinoise des sciences
Références J.P. Morgan Chase, Mitsubishi Chemical Ford, Pacific Northwest, Willis Towers Watson… Volkswagen, Enel, Amgen… NC

Si IBM et Alibaba Cloud possèdent leurs propres ordinateurs, Microsoft et AWS font appel à des constructeurs comme le canadien D-Wave ou les américains IonQ et Rigetti Computing. Des spécialistes qui proposent d'ailleurs leurs propres services d'informatique quantique dans le nuage. Sur ce marché du QCaaS estimé par Markets & Markets à 4 millions de dollars en 2019 et à 13 millions à horizon 2024 (soit une croissance annuelle moyenne de 26,8%), Google fait figure de grand absent. Le groupe américain qui a déclaré le premier, en octobre 2019, avoir atteint la suprématie quantique ne propose pas à ce jour d'offre de QCaaS. Google a toutefois déposé un brevet dès 2016 dans ce sens. Il est aussi à l'origine d'un outil, Quantum Playground, qui permet de simuler en ligne des systèmes (ou registres) quantiques jusqu'à 22 qubits et exécuter les algorithmes de calcul quantiques, comme Grover ou Shor. Sa technologie a été publiée par le groupe en open source sous licence Apache.

Dans cette bataille, la France est également en retard. La mise en place d'une telle offre de QCaaS est pourtant une des propositions du rapport "Quantique : Le virage que le France ne ratera pas" réalisé sous l'égide de la députée Paula Forteza (LREM) et transmis au gouvernement en janvier 2020. "La définition d'un business model viable pourra être confié à des acteurs tels que Teratec, Airbus, Atos et l'Inria qui ont de l'expérience dans l'animation d'écosystème HPC et des offres SaaS", argue notamment le rapport.

Big Blue positionné dès 2016

IBM est le premier à avoir proposé, dès 2016, un service d'ordinateur quantique dans le cloud. Big Blue met à disposition 14 ordinateurs quantiques IBM Q Systems. L'offre qui avait démarré avec 5 qubits atteint désormais 53 qubits. Elle repose sur un framework open source, baptisé Qiskit (pour Quantum Information Science Kit) et basé sur des Jupyter Notebooks. Disponible sur Windows, Linux et Mac, il permet de composer un premier circuit quantique, de visualiser le code correspondant, ou encore de tester des d'algorithmes quantiques comme Grover. Qiskit supporte les langages de développement OpenQASM et Python.

Avec Circuit Composer, IBM propose, par ailleurs, une interface graphique qui permet créer des circuits quantiques via glisser-déposer de composants, avant de les tester. J.P. Morgan Chase et Mitsubishi Chemical font partie des références clients.

Azure Quantum, orienté cas d'usage

Annoncée lors de de sa conférence annuelle Ignite en novembre 2019, la plateforme de QCaaS de Microsoft est toujours en bêta privée (c'est-à-dire accessible à un nombre limité d'utilisateur, sur inscription). Azure Quantum est issue de partenariats technologiques signés avec Honeywell et Toshiba, ainsi qu'avec les start-up spécialisées IonQ, QCI et 1QBit.

En s'adossant à Azure Quantum, Microsoft propose de se familiariser avec la programmation quantique via un Quantum Development Kit. Ce kit de développement comprend un environnement Q# (un langage de programmation quantique de haut niveau), un ensemble de bibliothèques et des simulateurs. Créé par Microsoft Research et placé sous licence open source MIT, Q# est pris en charge par Visual Studio Code, le studio de développement open source du groupe, tout en étant interopérable avec les langages Python et ceux de la plateforme .Net. Azure Quantum est conçu pour répondre à des cas d'usage bien identifiés dans les domaines de l'énergie, des services financiers, du transport et de la logistique.

Parmi les premières références clients de Microsoft, on retrouve Ford, Pacific Northwest ou Willis Towers Watson. Dans le domaine de la santé, l'université Case Western Reserve (Ohio) utilise Azure Quantum pour détecter des tumeurs.

Amazon Braket, le dernier né

Généralement en avance de phase sur les services innovants, AWS a été le dernier des géants du cloud à lancer un service de QCaaS. Baptisée Braket, en référence à la notation de bra-ket formulée en 1939 par Paul Dirac, un des pères de la mécanique quantique, l'offre est commercialisée depuis août dernier. Reposant sur la plateforme d'IA d'Amazon (SageMarker), Braket propose un environnement de développement et de test à partir de bloc-notes Jupyter. Il simule les applications produites sur l'une des infrastructures des trois partenaires du provider de Seattle, à savoir les ordinateurs supraconducteurs de Rigetti, les machines à "recuit quantique" de D-Wave et les machines à ions piégés de IonQ. AWS Bracket permet de développer des algorithmes hybrides, reposant en partie sur des ressources de calcul "traditionnelles".

A cette offre, AWS associe un programme de conseil. Baptisé Quantum Solution Lab, il met en relation clients et experts en informatique quantique (1QBit, Rahko, QCWare, Zapara...). Enfin, le géant américain dit travailler sur son propre processeur quantique.

Alibaba Cloud, l'alternative aux GAFA

Alibaba Cloud a grillé la politesse à Microsoft et Amazon en annonçant, dès mars 2018, un service cloud d'informatique quantique basé sur un processeur superconducteur de 11 qubits. Il a été lancé en partenariat avec l'Académie chinoise des sciences.

Depuis, cette dernière propose sur le site Quantum Computing Cloud Platform un environnement en ligne pour développer et tester des algorithmes quantiques. De son côté, Alibaba Cloud a rendu public, en octobre dernier, un framework open source sous licence MIT. Ecrit en Python, il fournit un ensemble d'outils pour faciliter le développement d'algorithmes quantiques.