Droits voisins : Google signe un accord… et déchire la presse française

Droits voisins : Google signe un accord… et déchire la presse française Le géant de la publicité a négocié avec l'Association de la presse d'information générale. Le texte exclue des médias tels que L'Equipe, Le Point, Paris Match ou RTL.

"Cet accord est un vrai scandale !". Ce patron de presse, qui préfère rester anonyme, ne mâche pas ses mots au moments de commenter l'accord annoncé ce 21 janvier entre Google et une partie de la presse française. La cause de son courroux ? Google a fait le choix de ne négocier qu'avec les titres d'information politique et générale (IPG), tels Le Figaro, Le Monde et Les Echos. L'accord signé avec l'Association de la presse d'information générale (APIG) exclut donc quelques-uns des plus emblématiques médias de France : L'Equipe (membre de l'APIG mais non IPG), Le Point, Paris Match, RTL, LCI, Voici, Femme Actuelle, Vanity Fair, Vogue…

Pour rappel, le géant de la publicité avait été sommé en avril dernier par l'Autorité de la concurrence de négocier avec les éditeurs et agences de presse au sujet de la rémunération des contenus repris par son moteur de recherche. Un injonction qui faisait suite à l'entrée en vigueur de la loi française sur le droit d'auteur. Et forcément, du côté des laissés-pour-compte, on fait grise mine.

"Les représentants de l'APIG n'ont vu que leur intérêt"

"Les représentants de l'APIG n'ont vu que leur intérêt dans cette interprétation arbitraire de Google", peste ce patron contestataire. Peu de temps après l'officialisation de cet accord, le Syndicat des éditeurs de presse magazine (SEPM), qui représente la majorité des médias oubliés, a laissé transparaître son mécontentement dans un communiqué de presse où il précise maintenir sa plainte devant l'Autorité de la concurrence. Il y assure également qu'il poursuivra son combat "pour l'ensemble de la presse, qu'elle soit IPG ou non, quelle que soit sa famille de presse ou son organisation représentative." Pas vraiment surprenant venant d'un syndicat dont les membres gèrent autant des titres d'information politique et générale que des titres de mode, sport, cuisine ou autres.

Le SNPTV, qui représente les groupes audiovisuels, a lui préféré ne pas prendre part à ces guerres intestines. "Il faut dire que TF1 et M6 ont toujours été contre le fait de demander de l'argent à Google, incitant les médias à simplement faire leur boulot'", commente un proche du dossier. Une position que le syndicat de la presse en ligne, le Spiil, qui doute de l'efficacité sur le long terme d'une nouvelle rente pour la presse, semble partager.

Même au sein de l'APIG, certaines voix s'élèvent pour dénoncer un accord qui pourrait s'avérer "perdant sur le long terme", à en croire un des membres. C'est d'abord le montant récolté qui pose question, bien que non dévoilé pour le moment. Le Monde évoquait, alors que Google et l'APIG étaient proches d'un accord en octobre dernier, une somme proche des 25 millions d'euros. Loin de la centaine de millions d'euros que l'APIG escomptait récupérer au début des négociations. Certes, le contexte économique ne permet plus aux médias français de faire la fine bouche… Mais l'écart est significatif. D'autant que l'accord validé par le conseil d'administration de l'APIG est, à en croire un autre membre, en quasi tous points semblable à une première proposition faite par Google en juillet 2020. Proposition que les quatre médias chargés de représenter le secteur avait alors jugée insatisfaisante. Sollicité par le JDN en septembre dernier, Pierre Louette, président de l'APIG et du groupe Les Echos-Parisien, avait assuré que l'écart par rapport aux attentes des médias était trop important.

"Ils ont chacun négocié, dans leur coin, entre 1 et 2 millions d'euros annuels de la part de Google"

Alors, qu'est-ce qui a changé depuis ? Les intérêts financiers des uns ont-ils pris le pas sur le bien commun. Le Monde, Le Figaro et Le Parisien, qui ont géré les discussions avec Google pour le compte de l'APIG, sont plus particulièrement pointés du doigt. "Ils ont chacun négocié, dans leur coin, entre 1 et 2 millions d'euros annuels de la part de Google au titre de cette loi sur les droits voisins", déplore notre patron mécontent. Ce revirement a mis la pression sur l'APIG qui, pour préserver l'unité au sein de son association, s'est retrouvé face à la nécessité de signer le plus rapidement possible un accord cadre avec Google, sous peine de voir l'essentiel de ses membres suivre l'exemple du trio. D'autant que, dans le même laps de temps, le géant de la publicité a enfin accepté de reconnaître explicitement le droit voisin. "C'est la vraie différence avec les propositions de juillet et d'octobre", se félicite le directeur général de l'APIG, Pierre Petillault. 

L'APIG a néanmoins, elle aussi, du mettre un peu d'eau dans son vin pour parvenir à un accord. Alors que l'association a longtemps eu pour ambition d'aboutir à un accord de licence globale, plutôt qu'une négociation entre chaque titre et Google, comme le voulait ce dernier, le deal final introduit un concept un peu hybride "d'accords individuels de licence", écrit Google. L'APIG a, en effet, négocié un cadre contractuel au sein duquel chacun de ses membres peut s'entendre avec Google. Ces tractations individuelles se feront sur la base de critères quantitatifs comme le volume quotidien de publications et l'audience mensuelle. Exit donc le principe d'un organisme indépendant, chargé comme le fait la Sacem auprès de l'industrie musicale, de récolter et redistribuer l'argent au titre des droits voisins. Un modus operandi qui aurait sans doute permis de mieux défendre les intérêts des plus petits. "L'accord garantit une rémunération aux plus petits titres d'IPG, c'est une vraie victoire",  tempère Pierre Petillaultn qui rappelle que le retrait de la plainte déposée devant l'Autorité de la concurrence est conditionné au respect par Google du cadre mis en place. Ce qui évite les mauvaises surprises.

Une vraie surprise, en revanche, c'est que l'accord passé avec Google donne aux membres de l'APIG l'accès au programme News Showcase. Ce programme de licence de publications de presse sera, selon nos informations, lancé en France en mai ou juin prochain par Google. L'APIG a, malgré l'insistance de Google, longtemps refusé de l'associer au sujet de la rémunération au titre des droits voisins, estimant que les deux sujets n'étaient pas liés et qu'il était dangereux de négocier un accord qui ne survivrait pas à News Showcase. Elle a pourtant fait marche arrière. "Il nous a fallu être pragmatique, l'essentiel étant d'obtenir cet accord de licence, défend un membre de l'APIG satisfait par le deal. La France est le seul pays européen à avoir transposé la directive sur le droit d'auteur. Le sujet des droits voisins ne concerne donc pour l'instant que notre pays alors que Google est une plateforme mondiale, qui déploie News Showcase dans des dizaines de pays. La position n'était pas tenable."

"Il nous a fallu être pragmatique, l'essentiel étant d'obtenir cet accord "

Encore plus étonnant, l'APIG a consenti à Google, qui veut faire de Showcase un espace qui apporte une véritable valeur ajoutée par rapport à son onglet News, une faveur aussi stratégique que symbolique : les médias signataires s'engagent à proposer en accès libre au sein de Showcase des articles payants sur leur site.

Showcase sera, si Google maintient sa position de ne négocier qu'avec l'APIG, uniquement réservé aux titres d'informations politique et générale. Et c'est là encore problématique, à en croire notre patron de presse contestataire. "Les médias membres du programme y parleront de tout, people, sport ou culture, compris. C'est donc complètement anti-concurrentiel vis-à-vis de ceux qui traitent aussi de ces thématiques et qui ne pourront pas en être."