Le leader évolutionnaire, nouveau visage du management constitutionnel

L'holacratie ajoute la complexité nécessaire pour que l'entreprise puisse naviguer dans un monde de plus en plus complexe.

La période de crise sanitaire que nous venons de traverser aura eu au moins un mérite. Celui de mettre bas les masques sur un certain nombre de dysfonctionnements et de nous inviter à vraiment changer la donne. Bien sûr, l’essentiel de mon propos porte sur l’entreprise et son organisation mais il est malgré tout intéressant d’éclairer celui-ci à l’aune des errements politiques qui ont émaillé cette crise.

Loin de moi l’idée de vouloir incriminer qui que ce soit mais les manquements constatés sont l’illustration d’une gouvernance inadaptée et obsolète. Huit semaines ! Il aura fallu huit semaines pour que le citoyen lambda que je suis ait accès à un masque de protection (digne de ce nom). Plus que regrettable lorsque l’on constate l’impact d’une telle situation sur notre pays : une économie à l’arrêt et des dégâts sociaux sans précédent qui s’annoncent.

Comme cela a déjà été le cas dans beaucoup d’entreprises, il est aujourd’hui temps que nos gouvernants, chaque citoyen, s’interrogent sur la pertinence d’un système régi par une gouvernance centralisée à l’extrême, percluse de jacobinisme. La crise du COVID-19 est un électrochoc. Elle démontre dans et hors l’entreprise toute la pertinence d’un système d’autorités distribuées évolutif, laissant derrière lui un modèle mental pyramidal désormais inopérant.

Organisation et management constitutionnel pour faire face aux crises.

Contrairement à nos institutions, beaucoup d’entreprises ont d’ores et déjà franchi le pas d’un nouveau mode de gouvernance, d’une organisation réinventée. C’est notamment le cas de toutes celles qui se sont dotées d’une constitution comme celle de l’holacratie pour asseoir et encadrer leur nouvelle organisation. Toutes s’accordent aujourd’hui pour dire que ce nouveau paradigme qui les guide, a facilité, permis d‘amortir le choc de la crise du COVID-19. Dans le cadre des entreprises que j’accompagne, l’holacratie a permis une prise de décision, une mise en mouvement facilitées. Et pour cause. L’organisation s’appuyant sur un management constitutionnel où la répartition des autorités et des rôles est claire, où chacun sait ce qu’il a à faire, l’entreprise a pu se mettre en mouvement, réagir et s’adapter immédiatement. Une absence de latence qui est moteur et vecteur de réussite. Comme le soulignait Isabelle Baur, dirigeante de la coopérative Scarabée – Biocoop, entreprise de 250 personnes dans la région de Rennes, s’appuyer sur une organisation constitutionnelle donne l’opportunité aux 4 dirigeants de ne pas se retrouver seuls face à la crise, de pouvoir s’appuyer sur les 35 leaders de cercle, un ensemble d’outils à l’efficacité redoutable pour passer rapidement de l’idée à l’action.  Les 250 collaborateurs ont pu ainsi s’aligner rapidement sur les mêmes objectifs, le même horizon.

Ainsi, confrontée à la crise sanitaire, l’entreprise bretonne et sa présidente ont pu s’appuyer sur des autorités claires et distribuées, des leaders tous tendus dans la même direction. En quelques jours, l’entreprise a su faire des choix drastiques. Fermeture de ses restaurants, ouverture maintenue et adaptée de tous ses magasins : ceux des restaurants et des bureaux sont immédiatement venus aider ceux des magasins. Aucun chômage partiel mis en place et un recours très limité au télétravail. S’appuyant sur l’expérience et les enseignements de l’incendie d’un magasin quelques mois plus tôt, exploitant au mieux les outils de l’holacratie, l’entreprise a immédiatement fait ce qu’il fallait pour s’adapter, contrebalancer les effets de cette crise.

Bien sûr, réinventer son organisation sur la base d’une constitution comme celle de l’holacratie n’est pas anodin et sans difficulté. Néanmoins, la complexité induite par cette rupture d’avec le modèle conventionnel est sans doute la meilleure manière d’appréhender et de se préparer pour être en mesure de gérer de façon simple la complexité de l’environnement dans lequel nous évoluons. En soi, l’organisation constitutionnelle est une réponse complexe à une réalité tout aussi complexe. Une fois en place, acceptée et assimilée par tous, la nouvelle organisation est en mesure de répondre aisément voire naturellement à toute situation de crise. Cette dernière est en somme un excellent révélateur de toute la puissance catalysée par une pratique mature de l’holacratie et, plus largement, par le management constitutionnel.

Place au leader évolutionnaire

Dans ce contexte, la nouvelle organisation permet l’émergence d’une nouvelle forme de managers, de leaders. Une nouvelle fois, la crise sanitaire que nous traversons vient démontrer aux leaders d’aujourd’hui qu’ils ne seront pas nécessairement ceux de demain. Alors que dans le modèle conventionnel, ceux-ci en imposent par leur capacité à délivrer, à mener dans un monde fait de certitudes et de répétitions ; dans un monde complexe voire chaotique ceux-ci peuvent s’effacer. Face au changement, à la complexité, le nouveau leader ne panique pas, ne stresse pas face à l’incertitude. Il est un visionnaire capable de se réinventer. Il n’attend surtout pas que le monde redevienne comme avant. Pour lui, le « retour arrière » n’est pas une option.

Ce leader d’un nouveau genre est un leader évolutionnaire c’est-à-dire à l’aise avec un environnement mouvant, en permanent changement. Il l’observe, s’adapte en tenant compte notamment de tous les signaux faibles à côté desquels la plupart des autres passent. Il détecte ainsi les opportunités pour l’entreprise de se développer et de prospérer. Il sait écouter et discerner ce qui aspire à être. Avec lui, l’organisation peut passer au prochain stade, devient apte à naviguer dans des eaux nouvelles et inconnues, après avoir dépassé ce moment difficile qu’une dirigeante que j’accompagne appelle le « cap Horn ». Face à la complexité qui caractérise l’environnement, à des crises qui se succèdent toujours plus vite, l’organisation est outillée pour prospérer en milieu chaotique. Elle devient résiliente. Pour ce faire, elle doit pouvoir s’appuyer sur des leaders en capacité d’agir court et de voir loin. Ils guident l’organisation et mettent les collaborateurs en mouvement sur l’essentiel pour faire face à la crise du moment, par exemple en changeant le modèle économique, tout en anticipant et en concevant les réinventions du moyen terme.

Fini le changement en mode incrémental cher aux tenants de l’organisation conventionnelle (ou changement de type 1 comme l’appelle Paul Watzlawick). Désormais, le changement est synonyme de rupture (changement de type 2). Le leader évolutionnaire est maintenant cette personne capable de capter, de canaliser et de communiquer l’énergie de l’entreprise. Il est, comme l’appelle Peter Koenig, cette « personne source », à l’aise avec un environnement complexe voire chaotique, connecté avec ce qui aspire à être, la raison d’être évolutionnaire de l’organisation.

Savoir accueillir les ressentis pour puiser l’énergie nécessaire à la mise en mouvement

Bien sûr, les crises qui se succèdent, la transmutation des organisations sont autant de chocs qui provoquent, qu’on le veuille ou non, une forme de peur chez beaucoup au sein de l’entreprise, y compris chez les leaders et les dirigeants. Dans ces conditions, la première priorité pour opérer ce changement porteur de tant de radicalité et irréversible, est de reconnaître ces peurs, de libérer l’expression sans jugement de ce matériau source d’énergie que constituent nos ressentis, puis de tirer les enseignements en analysant les forces et les faiblesses pour ensuite puiser l’énergie en profondeur. Et naturellement les personnes se mettent en mouvement dans l’Agir court et le Voir loin.

Dès lors, c’est à ceux qui sont sereins dans le chaos, à ces leaders évolutionnaires que revient de créer ces espaces d’accompagnement de notre humanité pour que nous puissions tous nous mettre en mouvement dans l’agir court et le voir loin et emmener l’organisation vers ce vers quoi elle aspire à être,  son nouveau niveau d’émergence, diraient les théories du chaos.

Management constitutionnel de type holacratie, leader évolutionnaire source, et mise en mouvement des équipes en partant des ressentis constituent trois clés pour prospérer dans les nouvelles eaux plus complexes post cap Horn.