Comment Hyperledger a gagné la bataille de la blockchain

Comment Hyperledger a gagné la bataille de la blockchain Le projet open source, qui compte désormais 275 membres, a su convaincre de grandes entreprises comme Carrefour et Airbus d'utiliser ses technologies.

Le cloud est dominé par Amazon, l'intelligence artificielle par Google et la blockchain par… Hyperledger ? Le projet open source initié par la fondation Linux est bien parti pour s'imposer. En cinq ans, il est passé de 30 à 275 membres et a su convaincre de grands noms comme Airbus, Bosch, JP Morgan, Fedex ou encore SAP. Hyperledger est aussi parvenu à faire travailler ensemble des concurrents au sein de consortiums, à l'image de we.trade, plateforme de trade finance qui compte notamment, HSBC, Santander et Société Générale dans ses rangs. Comment ce projet s'est-il fait une si grande place alors qu'il existe une multitude d'acteurs, grands et petits ?

Une des forces d'Hyperledger est de proposer des solutions calquées sur le modèle des grands éditeurs de logiciels. "C'est une boîte à outils plateformisée, en mode SaaS, très sécurisée avec un support client", résume Michel Khazzaka, directeur de la practice blockchain chez Azzana Consulting, cabinet spécialisé dans le paiement. Hyperledger s'est tout de suite positionné sur de la blockchain privée, c'est-à-dire contrôlée par plusieurs acteurs, ce qui est très apprécié des grands groupes. Difficile d'imaginer un Renault ou un Nestlé sur une blockchain publique, ouverte à tous. En tout cas pour leurs premiers pas dans la blockchain. Carrefour, qui a développé sa propre blockchain pour mieux tracer des produits, est finalement passé sur Hyperledger. "Quand nous avons voulu scaler et ajouter d'autres produits, nous nous sommes aperçus qu'il fallait autant de blockchains que de produits. Hyperledger répondait à ce besoin d'industrialisation en nous permettant de segmenter des parties d'une blockchain par produit", explique Emmanuel Delerm, directeur organisation et méthodes de Carrefour. 

"Chaque développeur peut aller chercher le type de blockchain qui lui convient"

Hyperledger ne s'est pas cantonné à un secteur en particulier comme peut le faire le consortium R3, spécialisé dans la finance. Des acteurs de tous secteurs ont recours à cette technologie, de la distribution au trade finance en passant par l'IoT. "Etre multi-secteurs permet d'avoir énormément de contributeurs. Chacun peut venir avec des idées d'amélioration de prototype et de technologies", souligne Patrick Bucquet, partner chez Chappuis Halder & Co. "On peut faire un parallèle avec le web qui a commencé avec l'information et le commerce. Aujourd'hui il est dur de dire qu'Internet est un secteur d'activité particulier. Ce sera pareil avec la blockchain", ajoute-t-il.

Hyperledger est aussi multi-produits puisqu'il propose 15 technologies différentes, dont la plus célèbre est Hyperledger Fabric, qui permet de développer des applications blockchain de façon modulaire. "Ils ont réussi à faire plusieurs versions d'Hyperledger, donc différentes versions de blockchain. Chaque développeur peut aller chercher le type de blockchain qui lui convient", indique Patrick Bucquet. "Ce qu'a réussi à Hyperledger Fabric n'a pas seulement été de créer une blockchain mais tout l'environnement de déploiement dans le cloud. C'est du prêt à l'emploi, il n'y a plus qu'à faire la couche applicative. Cela permet de gagner du temps, surtout dans la réalisation de proof of concept", ajoute-t-il. "A ce niveau-là, on n'a pas les épaules en termes d'investissement pour faire le poids", regrette François-Xavier Thoorens, cofondateur de la blockchain Ark, qui préfère désormais se spécialiser sur certaines thématiques comme l'identité numérique. 

IBM ou IBM-Hyperledger

Ce qui a convaincu les grands groupes c'est aussi IBM, gros contributeur au code d'Hyperledger. "Il est clair qu'avoir une grande entreprise derrière une technologie si jeune est une garantie, que ce soit pour les opérations, la DSI, la conformité et la direction", assure Michel Khazzaka. "Il faut reconnaître qu'avoir IBM comme animateur d'un consortium a un côté rassurant", confirme Emmanuel Delerm chez Carrefour. Le distributeur français et Nestlé utilisent la plateforme IBM Food Trust, basée sur Hyperledger, pour mieux tracer certains produits. "IBM s'est taillé une part importante dans le domaine de la blockchain, plus spécifiquement sur la traçabilité alimentaire avec des grands acteurs comme Walmart et Kroger. De plus, nous avions déjà des liens avec IBM, tout comme avec Nestlé et d'autres entreprises membres", explique Emmanuel Delerm. Quand on est déjà attaché à un client avec un produit, il est évidemment plus facile de lui en vendre un autre.

Chez Hyperledger, l'argument IBM n'est pas vraiment recevable. "C'est avoir une grande communauté qui rassure nos membres. Pas de se dire qu'on ne se repose pas que sur une entreprise ou un développeur", estime Marta Piekarska-Geater, director of ecosystem chez Hyperledger. "Certes, c'est important d'avoir de grosses entreprises qui soutiennent Hyperledger. Mais si IBM devait quitter le projet, nous sommes confiants, il continuerait de bien marcher", complète-t-elle.  

Pas de crypto

Last but not least, Hyperledger s'est toujours gardé de proposer des technologies touchant de près ou de loin aux crypto-monnaies. Or, très peu de grandes entreprises veulent avoir affaire à cette nouvelle classe d'actifs. "Nous ne sommes pas très présents sur le sujet des crypto-actifs pour le moment. Nous faisons partie de plusieurs cercles comme celui de la Caisse des Dépôts et des groupes de réflexion à Bercy. Ce qui nous intéresse dans la blockchain est surtout le côté communautaire", illustre Emmanuel Delerm. "Aujourd'hui, les grandes entreprises commencent à voir un intérêt non pas pour les crypto-monnaies mais pour les tokens", assure Marta Piekarska-Geater. Les tokens, ou jetons, sont des actifs numériques qui peuvent soit s'apparenter à des titres financiers (security tokens) soit donner accès à un service ou un droit de vote (utility tokens).

Des tokens ou pourquoi pas des stablecoins, ces crypto-monnaies stables qui font parler d'elles depuis l'annonce du projet Libra de Facebook. JP Morgan teste par exemple son propre stablecoin pour des échanges entre institutionnels. "Hyperledger pourrait faire une nouvelle version dédiée aux stablecoins qui permettrait à d'autres de gérer leur stablecoin", imagine Patrick Bucquet. "Je ne serai pas étonné qu'Hyperledger fasse une grande annonce prochainement concernant l'émission d'un stablecoin collatéralisé", avance de son côté Michel Khazzaka. Plusieurs banques centrales, dont la Banque de France, ont entamé des travaux sur l'émission de stablecoins. Reste à savoir si elles laisseront entrer un consortium soutenu par un américain dans la bergerie.