Les security token offerings : révolution ou nouvelle arnaque ?

Marc Simoncini et Xavier Niel viennent d’annoncer investir dans un protocole blockchain nommé Dune. Alors que les cours du bitcoin augmentent de nouveau et que cet engouement est suivi par de nombreux investisseurs, qu’en sera-t-il à long terme ?

Il ne se passait pas une semaine de 2017 sans que l’on entende parler de la dernière ICO à la mode : une initial coin offering où un projet sur la blockchain met en vente ses tokens (ses jetons en français) auprès du grand public. Des centaines de projets ont réussi ainsi à réunir des millions d’euros, voir des dizaines ou des centaines de millions d’euros pour les plus chanceux et les projets les plus séduisants, avec un simple site web et quelques bouts de code. 

Malheureusement, l’année 2018 et l’effondrement du cours des crypto-monnaies en a refroidi plus d’un et les projets ont soudainement eu beaucoup plus de mal à lever de l’argent via cette méthode. Les investisseurs, nombreux à s’être brûlé les ailes sur leurs premières opérations sont devenus beaucoup plus frileux. Dès février 2018, près de la moitié des ICO de 2017 avaient déjà échoué.

Au cœur du problème revient souvent la question de l’utilité du token acheté. Au-delà de l’aspect purement spéculatif, beaucoup d’investisseurs se sont rendu compte qu’ils avaient acheté un token sans aucune utilité, qui ne servait à rien et ne représentait rien. Pas plus de valeur que des billets de Monopoly.

Le milieu de la crypto-monnaie étant très peu régulé (et il l’était encore moins à l’époque), chacun était libre de décider ce que représente son token, les droits auxquels il donne droit (ou pas) et la valeur qu’il représente (ou pas). Le retour à la réalité a donc été dur pour certains. 

Reste qu’il subsiste toujours, parmi les nombreuses arnaques, des projets très intéressants et à fort potentiel en recherche d’investisseurs. Comment intéresser ces derniers ?

Entrent en scène les STO, Security token offerings. Une STO n’est ni plus ni moins qu’une ICO classique mais où le token est un security. En français, on parle d’asset financier. Il s’agit donc de re-donner aux tokens des allures d’action : un droit de s’exprimer sur la gouvernance de la société et un partage des gains éventuels. Puisque nous sommes entièrement libres dans la création d’un token et dans l’utilité que nous lui donnons, autant lui attacher des propriétés intéressantes. Un security token n’est donc plus un token "inutile" mais un token qui comporte certaines ou toutes les caractéristiques d’un asset financier (par exemple d’une action).

En redonnant aux tokens des semblants d’action d’entreprise, les STO vont faire renaître l’intérêt des investisseurs pour les projets blockchains et les crypto-monnaies. Mais, s’il s’agit d’un token qui ressemble à une action, quel est l’intérêt de se compliquer la vie avec un token et de ne pas en rester aux actions qui font le boulot depuis des siècles ?

En réalité, les tokens comportent de nombreux avantages sur les actions classiques. Pour les start-up et les entreprises non-cotées, c’est un moyen fascinant de créer de la liquidité et un marché secondaire : les tokens peuvent s’échanger très facilement de particulier à particulier sur un simple site d’échanges. Il sera plus facile de convaincre un business angel d’investir dans votre start-up s’il peut en sortir quand il veut en revendant tout simplement ses tokens (ce qu’il ne peut pas faire aujourd’hui). Même pour les actions déjà cotées en bourse, l’intégration à un token permettra notamment de l’échanger très facilement d’un bout à l’autre de la planète, sans frais, vingt-quatre heure sur vingt-quatre, sept jours sur sept (et donc même lorsque la bourse est fermée). Cela permet également de diviser les actions : un token peut représenter un dixième d’une action Amazon qui devient plus accessible pour les petits porte-monnaies.

Attention toutefois, un security token ne contient pas forcément l’ensemble des caractéristiques d’une action. On parle de security token lorsqu’un jeton comporte au moins certaines propriétés d’une action : un droit de vote lors d’une assemblée générale, un partage de gains (dividendes)... Il est bien sûr possible de faire simple et de dire "un token représente une action".

Cela ouvre le champ des possibles : un token qui permet d’être intéressé sur les gains mais pas de voter aux assemblées générales, ou à l’inverse un token qui permet d’influencer sur la gouvernance de la société mais qui ne rapportera jamais rien (pourquoi pas ?). Cela permet également d’être créatif autour du système de rémunération des actionnaires : plutôt que de verser des dividendes avec l’imposition qui va avec, il est possible de créer un token qui donne droit directement à un certain pourcentage du résultat de la société, versé directement par smart contract qui vient créer une charge dans la comptabilité de la société, lui permettant de payer moins d’impôts.

Avec de tels avantages, une telle souplesse dans la manipulation de l’outil et une telle liberté dans la création de ces security tokens, il est facile d’extrapoler et d’envisager un monde de demain où tous les assets financiers sont "tokenisés". Plutôt que d’acheter un baril de pétrole, j’achète un "baril token" qui représente effectivement un vrai baril mais sans avoir besoin d’attendre 9h du matin que la salle de marché ouvre ses portes, sans avoir à passer par une douane, éventuellement sans être taxé sur ce token. Mieux, je peux acheter un millième de baril, la moitié d’un appartement (et toucher la moitié des revenus locatifs) ou une infime part d’une œuvre d’art (qui ne rêve pas de détenir 0,1% d’un Picasso ?).

Les security tokens ont ouvert la voie à un monde entièrement tokenisé, et rien ne peut les arrêter.