IOS 14.5 contraint les mesureurs mobile à se réinventer

IOS 14.5 contraint les mesureurs mobile à se réinventer Des sociétés comme Adjust, Appsflyer et Kochava ont vu le cœur de leur offre remis en question au sein de l'environnement IOS.

Arbitres incontestés des investissements publicitaires in-app, les mobile measurement partners, ou MMP, ont vu leur légitimité vaciller avec le déploiement d'IOS 14.5 le 26 avril dernier. Ce dernier les dessaisit de leur rôle de tiers de confiance entre l'éditeur et l'annonceur pour tout un pan de l'audience IOS. En l'occurrence, les utilisateurs qui ont refusé que l'identifiant publicitaire associé à leur device (IDFA) soit utilisé à des fins de tracking. C'est désormais le framework d'Apple, le SKAdNetwork, qui remonte les informations de conversion dans ce cas de figure. Faute de pouvoir effectuer le tracking lui-même, le MMP est cantonné à un rôle d'intermédiaire, chargé d'aider les annonceurs à configurer correctement ledit SKAdNetwork et à en optimiser le fonctionnement. "Ce n'est, dans ce cas-là, plus le mesureur omniscient que l'on a connu mais plutôt un intégrateur qui facilite la remontée de données issues de sources hétérogènes, dans une logique de data analyse", observe Dominique Latourelle, product innovation manager chez iProspect.

En surcouche du SKAdNetwork

Un vrai changement de cap pour des acteurs comme Adjust, Appsflyer ou Kochava et qui ont levé plusieurs centaines de millions de dollars (ou se sont vendus au moins pour autant) sur cette promesse de pouvoir tout traquer in-app. Car ils  sont nombreux à refuser l'utilisation de leur IDFA : près de 64% dans le monde selon des statistiques d'Appsflyer. Le ratio monte même à 89% chez Flurry Analytics. Il varie selon les catégories d'application et il faut également le mettre en perspective avec le faible pourcentage d'utilisateurs qui ont procédé à la mise à jour de leur OS. A peine 8% dans le monde le 10 mai, toujours selon Appsflyer. Reste que les autres feront eux aussi un jour la bascule et que les MMP doivent donc revoir une partie de leur offre. Il s'agit, en premier lieu, d'aider les applications à configurer correctement le SKAdNetwork. Pas une sinécure. "Il est hyper chronophage pour les éditeurs comme les annonceurs de gérer cette intégration et de procéder au mapping des points de conversion", confirme Dominique Latourelle. Certes, ces derniers peuvent toujours passer par Facebook pour le faire. Mais le SKAdNetwork se basera, dans ce cas-là, sur les modèles d'événements de Facebook qui sont génériques et pas toujours adaptés à certains éditeurs d'application. Un argument en faveur des MMP, donc.

Il s'agit ensuite pour les MMP d'aider les marketeurs à faire le point sur des campagnes qui, depuis l'arrivée d'IOS 14.5, sont beaucoup plus difficiles à réconcilier. Avec d'un côté, une mesure granulaire, user-based et temps réel pour les audiences Android et celles d'IOS qui ont consenti au tracking. Et de l'autre, des données agrégées remontées avec un peu de décalage par le SKAdNetwork, pour toutes celles qui ont refusé l'utilisation de leur IDFA. Entre les deux, les mesureurs doivent se charger d'homogénéiser comme ils le peuvent ces jeux de données hétérogènes. En essayant par exemple d'extrapoler des insights marketing à partir du comportement des audiences encore trackables. "Sans des ressources importantes en matière de business intelligence et data analyse, il est compliqué pour les annonceurs de le faire eux même", rappelle Thomas Petit, consultant spécialisé en mobile. Et cela peut vite s'avérer préjudiciable. Les "petits" acteurs qui seraient tentés de s'affranchir de ce que certains appellent la taxe d'attribution, en seraient, à en croire l'expert, vite pour leurs frais. "Beaucoup ne se rendent pas compte de toute la valeur associée aux services proposés par les MMP", assure Thomas Petit.

"Beaucoup d'acteurs bien outillés m'ont confirmé qu'ils continueraient à utiliser leur MMP pour gagner du temps et s'assurer d'être au courant des dernières évolutions"

Cela vaut aussi pour les annonceurs les plus matures. Car même s'ils ont les ressources dédiées en internes, ils sont encore nombreux à solliciter leur partenaire mesureur. Essentiellement pour des raisons de productivité. "Beaucoup d'acteurs bien outillés m'ont confirmé qu'ils continueraient à utiliser leur MMP pour gagner du temps et s'assurer d'être au courant des dernières évolutions", révèle Thomas Petit. Les semaines qui ont précédé l'arrivée d'IOS 14.5 l'ont confirmé, les MMP ne ménagent pas leurs efforts pour éduquer le marché, via des livres blancs, vidéos tutos ou notes de blogs. "Notre rôle devient plus important avec l'arrivée de toutes ces restrictions, justifie Baptiste Carrère, directeur commercial France d'Appsflyer. Car si l'on est incapable d'innover, c'est tous nos clients que l'on met en péril."

Prédire les conversions après trois jours

"Apple ayant pris le cœur de l'attribution aux MMP sur iOS, ces derniers se tournent vers des fonctionnalités complémentaires au sein de cet OS, comme l'agrégation des coûts ou la mesure des données d'abonnements", observe Thomas Petit. C'est le cas de Kochava, qui a communiqué sur une offre permettant aux éditeurs ayant une stratégie d'abonnement de recomposer le parcours de conversion de leurs utilisateurs payants. Un marché de plusieurs milliards de dollars sur l'App Store comme le Google Play Store, rappelle la société.

"Parce qu'une bonne partie de l'offre des MMP est désormais internalisable, beaucoup de clients vont vouloir renégocier leurs contrats"

Appsflyer s'échine quant à lui à combler les trous dans la raquette du SKAdNetwork. Ce dernier ne remonte  que les événements de conversion réalisés 24 heures après un clic sur la publicité... avec 48 heures de décalage pour empêcher un matching direct. A noter qu'il est possible d'augmenter cette fenêtre d'attribution mais ce n'est pas sans contraintes. Et cela ne résout pas le problème des annonceurs qui ont des cycles de vente plus longs. D'où le lancement par le MMP d'une fonctionnalité baptisée PredictSK pour aider ses clients à prédire les événements de conversion réalisés au-delà de la fenêtre d'attribution du SKAdNetwork. "C'est une vraie demande du marché mais c'est loin d'être évident à faire", note Thomas Petit, qui n'a pas encore pu tester la beta. Et qui rappelle que Google a proposé quelque chose de similaire sur son outil d'analytics mobile Firebase, avec un résultat plutôt décevant. Baptiste Carrère assure, de son côté, que "le taux de précision de PredictSK oscille entre 80 et 90% selon le trafic de l'application et de l'indicateur de performance que l'on cherche à prédire."

Vous l'aurez compris, les MMP sont partis pour rester. Reste à savoir à quel prix. "L'accès exclusif à l'API de Facebook a permis à ces acteurs de facturer l'attribution très chère", observe Thomas Petit. Apple s'étant saisi de cet aspect pour une bonne partie de l'audience IOS, les MMP vont peut-être être contraints de revoir leur grille tarifaire. Celle-ci est déjà très large, calquée sur le volume d'installations traquées, voire le nombre de visiteurs uniques quotidiens de l'application qui contractualise avec le MMP. Mais la facture s'établit souvent autour de plusieurs dizaines de milliers d'euros par mois pour les plus gros acteurs. Et elle sera sans doute plus difficile à justifier. "Parce qu'une bonne partie de l'offre des MMP est désormais internalisable, beaucoup vont vouloir renégocier leurs contrats", prédit Thomas Petit.