La mesure pub, autre victime de la disparition des cookies tiers

La mesure pub, autre victime de la disparition des cookies tiers La méthode post-view, qui permet aux agences médias de mesurer l'effet de mémorisation d'une publicité display, est condamnée par les décisions d'Apple et Google.

Depuis l'annonce par Google de la disparition des cookies tiers de Chrome d'ici deux ans, c'est tout un marché publicitaire qui est en émoi. Et si l'on a beaucoup parlé des difficultés qui attendaient les agences médias en matière de ciblage, on a finalement peu évoqué celles qu'elles vont éprouver pour continuer à mesurer correctement la performance de leurs campagnes pubs. "Le vrai problème engendré par la disparition des cookies tiers, c'est la gestion de l'attribution", estime d'ailleurs Charles Rousseaux, responsable de la BU marketing intelligence chez Re-Mind PHD. C'est particulièrement vrai pour les campagnes dites "à la performance" où les agences médias ont recours au post-view, une méthode qui consiste à mesurer l'effet de mémorisation d'une publicité chez l'utilisateur. Pour rappel, elles définissent une fenêtre de plusieurs jours durant laquelle elles estiment que si l'internaute exposé à la publicité a réalisé une action de conversion (visite sur site, mise en panier…) alors la publicité a bien eu un effet. Pratique pour déterminer l'impact des bannières display qui n'ont pas généré de clic et pour lesquelles on a donc aucune autre information. Mais impossible à mettre en place sans le cookie tiers pour faire le lien entre une conversion et une exposition publicitaire…

Plus de post-view sans le cookie tiers pour faire le lien entre une conversion et une exposition publicitaire

Les agences médias doivent donc changer leur fusil d'épaule. "L'optimisation des campagnes à la performance va être impactée", confirme Camille Quiqueret, head of media and social programmatic chez Agence 79. La solution de facilité sera sans doute de se concentrer sur les impressions qui ont généré un clic (qui dit clic, dit possibilité de faire le lien entre l'impression et le site de l'annonceur, cookie ou non). Mais cette option a ses limites. Elle contraint les agences médias à ne se baser que sur un tout petit échantillon des impressions achetées pour optimiser leurs investissements. Le taux de clic des campagnes display dépasse rarement les 1 à 2%. Elle les incite également à favoriser les acteurs situés en bas du tunnel de conversion, les retargeters notamment, parce qu'ils sont généralement performants sur ce KPI. "Le risque, c'est de sur-diffuser auprès d'une petite population d'internautes proche de l'acte d'achat, témoigne un patron d'agence anonyme. C'est d'autant plus probable que, sans cookies tiers, on sera en plus incapables de gérer la pression publicitaire." Le display classique serait le grand perdant d'un tel changement de cap à en croire Camille Quiqueret. "Il sera pénalisé par rapport au natif qui est plus performant en matière de clic."

"Google sera le seul acteur omniscient avec ses outils d'adserving, d'analytics et son navigateur"

L'autre option, c'est de faire confiance à Google. "C'est, dans un monde post cookie tiers, le seul acteur qui sera capable de gérer l'attribution entre les publicités de sites éditeurs et les conversions effectuées au sein des sites annonceurs", rappelle Léo Goldfeder, consultant en programmatique chez Ignition One. Avec Campaign Manager, un adserver qui peut gérer la mesure côté média, Analytics, qui s'occupe de l'attribution sur site et Chrome, qui représente plus de 60% des connexions Web en France, le géant de la publicité reste omniscient, cookies tiers ou non. "Google sera sans doute la seule solution pertinente pour faire de la mesure", abonde Charles Rousseaux. Et tant pis si celui qui est le plus gros vendeur d'inventaire display au monde devient plus que jamais juge et partie. "On va se rapprocher de Google pour créer des data clean rooms, des espaces qui sont hébergés dans leur cloud et nous permettent de croiser les données qu'ils mettent à notre disposition", révèle de son côté Emmanuelle Soin, directrice générale chez Omnicom Media Group. Le groupe de communication teste depuis 2017 aux Etats-Unis le Ads Data Hub de Google. Certains de ses concurrents sont toutefois moins enthousiastes. "Tout se fait aux conditions de Google qui garde le contrôle sur la donnée qu'il envoie avec une certaine opacité", déplore notre patron anonyme.

"On va se rapprocher de Google pour créer des data clean rooms"

Toujours chez Google, mais côté navigateur cette fois, la Privacy Sandbox, un outil de mesure d'audience open-source dont on ne sait pas bien encore comment il va fonctionner, suscite l'intérêt des acheteurs. Google a annoncé son arrivée en même temps que la disparition des cookies tiers. "Google ne s'est pas prononcé en défaveur de la mesure publicitaire mais bien du suivi individualisé des internautes d'un site à l'autre", rappelle Laetitia Lanfranchi, CEO de l'agence M13h. Le problème, ici encore, c'est que les acteurs en seraient réduits à utiliser de la donnée communiquée par Google. Apple s'est également positionné sur le sujet avec un outil baptisé Privacy Preserving Ad Click Attribution qui opère au sein de Safari.

La disparition des cookies tiers condamne-t-elle l'écosystème à se retrouver pieds et poings liés avec les navigateurs ? Non, estime Laetitia Lanfranchi, qui y voit plutôt l'opportunité d'un renouveau de la mesure publicitaire. "Les annonceurs et agences media doivent imaginer leurs propres méthodologies de mesure, indépendantes et complémentaires de celles qui seront proposées par les navigateurs." Léo Goldfeder est sur la même longueur d'onde et rappelle les limites de la mesure post-view qui incite certains acteurs peu scrupuleux à faire du cookie dropping, pratique qui consiste à déposer de manière intempestive des cookies pour s'attribuer un maximum de conversions et donc fausser le post-view. Et la fin du cookie tiers entraîne de facto celle du cookie dropping.

"AB testing, géomarketing, panels... Les acheteurs vont revenir aux méthodes qu'ils utilisaient avant l'arrivée du digital"

Charge donc aux agences de se concentrer sur de nouveaux KPI. A commencer par la visibilité, un indicateur utilisé en branding, moins en performance. "La première nécessité d'une impression web c'est d'être visible", rappelle Léo Goldfeder. Une réalité souvent oubliée des agences alors même que 40% des impressions ne sont pas visibles selon Integral Ad Sciences. "Certains annonceurs commencent à optimiser leurs campagnes au temps d'exposition par cible, comme cela est fait pour la publicité TV", remarque Léo Goldfeder. Benjamin Cozon, cofondateur d'Uptilab, imagine, lui, un retour aux fondements du marketing. "Les acheteurs vont être tentés de revenir aux méthodes qu'ils utilisaient avant l'arrivée du digital : de l'AB testing et du geomarketing." C'est, par exemple, diffuser une campagne dans une région A et ne pas le faire dans une région B, puis comparer les performances des deux régions pour estimer l'incrément. "C'est finalement plus vertueux car on mesure des ventes plutôt que des impressions", note Benjamin Cozon.

Autre option : les panélistes. Notre patron d'agence anonyme confirme être de plus en plus sollicité par des sociétés spécialisées dans les sondages. "Certains sont spécialisés dans la diffusion de sondages via le Web, d'autres réalisent ça de visu. Ce n'est pas vraiment industrialisable et c'est coûteux, mais ça a le mérite de marcher." N'est-ce pas au fond tout ce que l'on demande à un outil de mesure de la performance ?