Pas d'Etat de droit pour le e-Commerce français ?

Avec une croissance à deux chiffres d’une année sur l’autre, la vente en ligne se porte bien. Pourtant, les sites français sont délibérément placés dans une incertitude juridique, rappelant des pratiques judiciaires d’un autre âge... Pourquoi ?

Alors que la distribution physique est à la peine, celle passant par Internet est en pleine croissance. Pourtant, la fraude à la TVA pratiquées sur certaines marketplaces par des marchands peu scrupuleux pénalise fortement les sites de e-commerce français pratiquant l’achat-revente car ils sont bien obligés, eux, d’appliquer cette taxe. Les pertes directes pour le fisc et cette pénalisation des acteurs les plus faibles ne semblent pas traumatiser outre mesure les élus qui préfèrent attendre l’application d’une directive européenne sur le sujet en… 2022.

Par contre la mise en place de taxes supplémentaires envers les e-commerçants présents sur le territoire national motive bien plus d'autres élus. Parmi quelques exemples, nos sénateurs ont voté, le 20 juin 2018, une taxe sur les livraisons e-commerce, invoquant un motif écologique totalement aberrant – mais le Green Washing n’est plus à une incohérence près, voyez la sacralisation du tout électrique pour l’automobile. De son côté, l’ancien Gouvernement a demandé à Bercy de plancher sur "l’équité fiscale entre e-commerce et magasins traditionnels". Parions que cela ne va pas aller dans le sens d’un allègement fiscal pour ces derniers...

Une certaine continuité de l'Etat depuis l'ancien régime

L’Etat français a toujours appliqué le précepte de Colbert, selon lequel "l’'art de l'imposition consiste à plumer l'oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris" - la beauté de la continuité ! Un secteur d’activité en pleine croissance attire fatalement de nouvelles taxes au nom d’une inégalité, forcément injuste. 

Et c’est ici que cela devient inquiétant. Ce qui me cause le plus de souci est ce que j’ai commencé à dénoncer au mois de mai lors de la mise en application d’un texte vague et abscons sur le RGPD, sans que l’ensemble des documents applicatifs ne soient publiés avant la date d’application du règlement le 25 mai (ils ne le sont d’ailleurs toujours pas tous). La présidente de la CNIL, l’ancienne présidente du G29 ayant avec d'autres écris ce texte, Isabelle Falque-Pierrotin, se permettait de dire " … le G29 n’avait aucune obligation de sortir des guidelines… Les entreprises peuvent déjà se féliciter de les avoir", tandis que ses services assuraient une "bienveillante mansuétude" envers les TPE, PME et ETI n’appliquant pas totalement les directives. 

Il en est de même quant à l’application de la loi anti-fraude à la TVA, qui met de facto la grande majorité des sites de e-commerce hors la loi depuis le 1er janvier de cette année : pratiquement tous ceux qui sont basés sur de l’Open Source. Le cabinet de Gérald Darmanin "invitant l’administration fiscale à faire preuve de bienveillance" d’ici la fin de l’année (que va-t-il se passer le 31 décembre 2018?).

Le politique et l’administration savent qu’un texte de loi n’est pas directement applicable. Mais, au lieu de travailler à mettre en place les dispositifs concrets de son application ils préfèrent rassurer l’assujetti, mis délibérément dans l’illégalité, en invoquant bienveillance, compréhension et tolérance administrative. Dans les faits, les entrepreneurs, et tout particulièrement les e-commerçants de petite et de moyenne taille, se retrouvent totalement dépendants de décisions discrétionnaires résultant de la bonne ou mauvaise volonté des agents du fisc ou de la CNIL. Nous nous retrouvons alors dans la perpétuation d’une vieille tradition absolutiste de la "justice retenue". Cette "justice retenue" laissait au roi la possibilité de soustraire certaines affaires aux tribunaux ordinaires afin de protéger de la loi les amis du pouvoir, ou de priver de sa protection ses ennemis. Une pratique qui nous ramène à l’Ancien Régime. Une "start-up nation" est-elle envisageable en dehors d’un Etat de droit ?